Le récent rapport parlementaire sur la politique pénitentiaire recommande « d’oser repenser l’absolu de l’encellulement individuel pour concevoir ce principe de manière plurielle et pragmatique. » Pourquoi cette proposition ? Quelles en seraient les conséquences ?
Depuis 1875, l’administration pénitentiaire est obligée par la loi d’héberger les personnes détenues dans des cellules individuelles. Cette obligation est en général respectée dans les établissements pour longues peines (centres de détention et maisons centrales). Dans les maisons d’arrêt, la surpopulation est chronique. 54% des détenus vivent dans un établissement dont le taux de densité est supérieur à 120% ; en septembre 2021, 1 281 détenus ne disposaient pas de lit et dormaient sur un matelas posé au sol.
« Transhumances » a souligné en janvier 2018 le contresens consistant à se référer aujourd’hui à la loi de 1875, alors que le contexte social et pénal a changé. On obligeait alors les condamnés à mener une vie d’ermites en vue de leur repentance et de leur amendement. Curieusement, le rapport endosse cette obligation dans une formule alambiquée : l’encellulement individuel est « tout à la fois une obligation pour les détenus qui construit parfois le sens de leur peine, une mesure de sécurité et d’organisation de la détention et un droit pour les détenus qui participe de la dignité de leurs conditions de détention. »
L’entrée en vigueur du principe de l’encellulement individuel a été reportée de plusieurs années par la loi en 2000, 2003, 2009, 2014 et 2019. L’expiration du moratoire voté en 2019 a été fixée au 31 décembre 2022. Elle tenait compte de la construction de 7 000 cellules supplémentaires et d’une diminution escomptée de 8 000 du nombre de détenus grâce aux peines alternatives. Aucun de ces deux objectifs ne sera tenu d’ici la fin de l’année.
Dans ce contexte, la proposition de mettre en cause l’absolu de l’encellulement individuel risque d’aboutir à un aveu d’échec. On prendrait acte de l’accroissement « inéluctable » de la population carcérale et du ridicule des moratoires successifs pour adopter une attitude « pragmatique ». On baisserait pavillon.
Les recommandations du rapport ne rassurent pas sur ce point, tant elles restent floues. C’est dans l’analyse que s’entrevoient des pistes de solution.
Une suggestion du rapport – non une recommandation – consiste à fixer un critère de surface minimale pour l’occupation individuelle ou collective d’une cellule. Suivant une préconisation du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), le rapport considère qu’elle devrait être de 6m² pour une occupation individuelle, avec en outre une annexe sanitaire séparée. En cas d’occupation collective, il faudrait ajouter 4m² par détenu supplémentaire.
Le rapport admet que les programmes de construction « ne soient pas pensés uniquement autour de la construction de cellules individuelles, mais proposent également des cellules doubles, spécifiquement adaptées à la vie en cohabitation ». Certains détenus préfèreront ne pas rester seuls. La direction de la prison orientera des détenus psychologiquement fragiles vers une cellule partagée. Dans certains cas, elle proposera à des détenus travaillant ensemble ou participant à des mêmes formations de cohabiter.
Le rapport retient l’hypothèse, précédemment évoquée par Dominique Raimbourg, de 80% de cellules individuelles et 20% de cellules doubles. Encore faudra-t-il que ces cellules doubles répondent aux critères de surface minimale, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.
On en revient à l’impératif urgent de la décroissance carcérale. Les prisons nouvelles ont un coût exorbitant, que la Cour des Comptes estimait en 2017 à 1,5 milliards d’euros à l’horizon 2025. Leur construction explique une grande partie de l’accroissement du coût des prisons pour la collectivité : +2,2 % en 2018, +5,7 % en 2019, +6,2 % en 2020, +7,8% en 2021 et +7,4 % en 2022.
Rénover le parc immobilier pénitentiaire vieillissant et en grande partie hors-normes est, bien sûr, une priorité. L’idée de maintenir 20% de cellules doubles est acceptable, sous réserve que chacune comporte au moins 10m² avec en outre une annexe sanitaire séparée.
Mais on ne parviendra à résoudre le problème lancinant de la surpopulation, avec ses conséquences délétères sur les conditions de travail des surveillants et l’accès des détenus au travail, à la formation et aux activités, que si le nombre de détenus diminue. Formulons une hypothèse. La capacité d’accueil est aujourd’hui d’environ 60 000 places pour 70 000 détenus. Supposons que l’investissement immobilier soit entièrement consacré au remplacement d’établissements vétustes : chaque détenu vivrait dans une cellule individuelle ou double d’une surface suffisante ; les équipements collectifs permettraient une vraie vie sociale en détention. Alors, c’est un objectif de 10 000 personnes qu’il faudrait sanctionner et accompagner en milieu ouvert plutôt qu’en prison.
10 000 détenus en moins, une utopie ? C’est pourtant ce qui s’est produit, en 2020, au début de la crise sanitaire, moitié pour des libérations anticipées, moitié pour un moindre fonctionnement de la justice.