L’évaluation des justiciables : pourquoi ? comment ?

Le site Criminocorpus a publié récemment les actes de journées d’études de la direction de l’administration pénitentiaire sur le thème « l’évaluation des personnes placées sous main de justice : genèse, usages, enjeux », qui s’étaient tenues les 10 et 11 octobre 2019.

L’évaluation, action consistant à déterminer la valeur de quelque chose, est devenue une pratique universelle. On la met en œuvre dans les entreprises, à l’école, en milieu hospitalier. On cherche à évaluer les politiques publiques.

Dans le domaine de la justice, les premières évaluations ont concerné, à partir de 1930, les mineurs détenus à la maison d’éducation surveillée de Fresnes. Pour chaque mineur détenu, une équipe constituée du sous-directeur de l’établissement, d’un instituteur, d’un médecin et d’un psychiatre remettait au juge des enfants un rapport en vue de son orientation.

Grille d’évaluation du centre national d’orientation de Fresnes

Évaluer pour différencier

Après la seconde guerre mondiale, le centre de triage de Fresnes fut créé pour les prisonniers condamnés à de lourdes peines : il s’agissait de différencier les parcours de peine selon l’histoire personnelle, les compétences, l’attitude et le degré d’amendement des détenus. Aujourd’hui, quatre « centres nationaux d’évaluation » fonctionnent à Fresnes et Réau (Ile de France), Aix-Luynes et Lille-Séquedin. Les sessions d’évaluation durent six semaines. L’objectif de ces sessions ne consiste plus seulement à orienter les détenus vers le centre de détention ou la maison centrale correspondant le mieux à leur profil. Il consiste également à estimer leur dangerosité dans la perspective de la rétention de sûreté, peine créée en 2008.

L’évaluation est pratiquée depuis 2016 dans trois quartiers d’évaluation de la radicalisation (QER), tous situés en Ile de France, dans le cadre de sessions de dix-sept semaines. L’objectif est d’orienter les détenus vers la détention ordinaire ou vers de quartiers de prise en charge de la radicalisation (QPR).

L’évaluation est devenue une pratique centrale des services pénitentiaires d’insertion de de probation (SPIP), en détention comme en milieu ouvert. Ceux-ci s’éloignent du travail social. Ils se focalisent sur le dynamique du passage à l’acte délinquant ou criminel. Un référentiel des pratiques opérationnelles (RPO1) décrit leur méthodologie, dont l’objectif est de définir un parcours de peine et l’intensité du suivi à mettre en œuvre. Il s’appuie sur le modèle Risque-Besoin-Réceptivité (RBR) porté par les règles européennes de la probation.

En appui de leur travail, les SPIP utilisent des échelles actuarielles. Elles fournissent une estimation probabiliste du risque de récidive pour un groupe d’auteurs d’infractions (par exemple des violences familiales ou sexuelles), c’est-à-dire une estimation du pourcentage de gens qui, dans l’étude initiale et compte tenu de leur score, ont récidivé.

Centre d’évaluation de Réau

Échelles actuarielles

L’expression « échelles actuarielles » appartient au vocabulaire de l’assurance. L’assureur analyse statistiquement la survenance d’événements indemnisés et calcule des primes de risque variables selon le profil de l’assuré. Appliquée à la justice, la logique de l’assurance consisterait à changer de paradigme. On ne jugerait plus les délinquants ou les criminels pour les actes qu’ils ont commis. On ne chercherait plus à les réhabiliter. La préoccupation centrale deviendrait leur neutralisation au moyen de grilles actuarielles de prédiction des risques de récidive.

Dans cette logique, le concept central est la dangerosité. La rétention de sûreté s’inscrit dans cette logique. Si un détenu présente une menace grave pour la société, il peut être l’objet d’un placement forcé dans un centre socio-médico-judiciaire après la fin de sa peine criminelle.

Plusieurs intervenants aux journées d’études de la DAP se sont inquiétés de l’emprise des statistiques. Philippe Artières, directeur de recherches au CNRS, évoquait ainsi « la possibilité d’une science nouvelle, la prospective, forgée sur un imaginaire aquatique que nous qualifierions volontiers d’un art de la glisse. On suit des courants, on est porté par des vagues… »

Centre d’évaluation de Fresnes

Pas d’évaluation sans dialogue

Et Roland Gori, professeur honoraire de psychopathologie clinique à l’Université d’Aix Marseille : « nous nous habituons à considérer que la valeur est simplement ce que la machine algorithmique, numérique peut donner (…) Cela signifie que nous avons abandonné d’une certaine manière toutes les illusions, tous les espoirs, toutes les promesses des républiques qui nous ont précédées et qui considéraient que quel que soit un individu, il avait la possibilité par la rédemption, par l’éducation, par le soin de devenir autrement qu’il n’a été. Nous avons abandonné l’humanisme. »

Les journées d’étude de la DAP sur l’évaluation des personnes placées sous main de justice ont justement insisté sur l’importance du dialogue dans les processus d’évaluation. Le dossier mis à disposition par Criminocorpus représente une mine d’informations pour les professionnels et les bénévoles qui interviennent dans le champ de la justice, dans la prison et en dehors.

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