À l’occasion d’un périple à bicyclette de Teruel à Andujar, je publie des papiers rédigés lorsque je vivais à Madrid. Cet article sur la station Diego de León de Madrid a été écrit le 17 septembre 2002.
La correspondance entre les lignes 4 et 5 du métro de Madrid à la Station Diego de León a triste réputation. On emprunte un escalier à angle droit, on parcourt un interminable couloir lugubre. On tente ensuite de descendre sur le quai, lorsqu’on n’en est pas empêché par le flot contraire des voyageurs qu’une rame vient soudain de libérer.
La correspondance de Diego de León est blanche de céramique, sent le désinfectant, dilate le temps, éprouve les nerfs. Elle se présente ainsi du moins pour qui ne sait la regarder, prendre son pouls, se mouvoir à son rythme.
Car ce monde souterrain est plein de couleurs. Hommes et femmes, blancs, indiens et noirs, s’y croisent vêtus de costumes de ville, de bermudas, de minijupes et de jeans. Une jeune beauté en pantalon moulant laisse admirer son ventre bronzé et se protège de l’improbable soleil par des lunettes de star. Une autre élégante en sari noir et blanc couvre ses cheveux d’un discret fichu. Des affiches polychromes annoncent la sortie d’un film et vantent des articles de mode.
Ce monde bruit des claquements aléatoires de pas sur le sol, de chuchotements échangés et d’éclats de rire partagés. Guitaristes, accordéonistes, flûtistes se disputent cet auditorium improvisé, et leur absence donne au silence une dimension irréelle.
Ce monde est en mouvement. En de rares et éternels moments, des passantes magnifiques habitent l’espace comme la passerelle d’un défilé de mode. Elles avancent d’un pas ondoyant et sûr, conscientes de leur séduction et insouciantes du regard d’autrui.
A la correspondance de Diego de León, le plomb se change en or, le silence en mélodie et le déplacement de masse s’ouvre sur un instant de grâce.