« Et le bien dans tout ça ?» (Stock, 2021), peut être considéré comme le livre-testament d’Axel Kahn, président de la Ligue contre le cancer, mort de cette maladie le 6 juillet 2021 à l’âge de 77 ans.
À l’approche de sa mort, il écrivait : « C’est intéressant comme expérience : on ne vit qu’une seule fois, puisqu’ensuite on est mort. Je me demandais quelle serait mon attitude en m’approchant de la mort : voilà, je m’en approche, et je le vis. Je ne le fais pas en chantant, j’aime la vie. Mais je ne le fais pas non plus dans la terreur, je le fais avec détermination. C’est une période très importante de ma vie. »
Le point de départ de son livre est le fil d’Ariane que lui laissa son père, Jean Kahn, avant de se suicider alors qu’Axel avait vingt-six ans : « sois raisonnable et humain ! » C’est aussi la constatation que « la morale avait si mauvaise réputation, assimilée à des siècles d’éducation cléricale, sexiste et ennemie du plaisir, qu’elle a été bannie de l’enseignement. Et rien ne l’a remplacée. »
Comment définir le bien ? Axel Kahn propose une définition en amont de toute croyance et religion, qui ne fait appel à aucune transcendance. Le bien existe là où les humains reconnaissent une réciprocité, c’est-à-dire l’aptitude à ressentir l’autre comme pleinement humain, lui aussi. La définition du bien devient l’ensemble de ce qui prend en compte la valeur de l’autre alors que le mal est défini par ce qui la nie, qui attente à sa sécurité, à son épanouissement et à sa dignité.
L’auteur passe en revue un grand nombre de problèmes éthiques d’aujourd’hui, des robots apprenants à l’homme augmenté, de l’attitude à l’égard des migrants à la considération envers les pensionnaires des Ehpad, des confinements contre le Covid à l’acharnement thérapeutique, du féminisme à la défense de l’environnement, du terrorisme aux drones de guerre, du savoir opposé aux opinions et aux croyances.
Incarnation du mal, à l’opposé du principe de réciprocité, se trouve le tortionnaire. « Il jouit de la terreur de ses victimes, boit ses tourments, s’émerveille de son pouvoir. Ce qu’il envisage de l’immense détresse de la personne torturée magnifie sa propre puissance. »
Notre indifférence à l’égard des migrants qui meurent en masse à nos frontières tourne le dos, elle aussi, au principe de réciprocité. « L’Europe ne survivra pas à son indifférence aux dizaines de milliers d’enfants et d’adultes que son égoïsme aura conduits à une mort certaine. Elle sera un grand corps sec et laid dont les membres se disloqueront après que son âme aura été sacrifiée aux pires pulsions humaines, ses habitants se considèreront avec horreur d’avoir été complices de telles ignominies. »
Les machines intelligentes finiront-elles par remplacer les humains ? Axel Kahn souligne l’accroissement exponentiel de leurs capacités. Il y a quelques années, les simulateurs de jeux d’échecs se nourrissaient de parties remportées par des humains. Aujourd’hui, elles apprennent de leurs erreurs. La différence avec les humains, c’est qu’elles n’ont pas de corps. Elles sont « désespérément chastes », dit Kahn. « Mon optimisme lucide s’enracine dans le rôle du corps dans notre recherche du bonheur. En effet, même chez le plus cérébral des intellectuels et le plus mystique des croyants, le bonheur ne peut être totalement déconnecté du corps. »
« Et le bien dans tout ça ? » est un livre remarquable, une boussole pour le lecteur qui peine à structurer ses convictions dans le vacarme de l’actualité et des médias.
Merci Xavier
Bises à vous deux