Arte TV a récemment diffusé Flee, film documentaire d’animation de Jonas Poher Rasmussen (2021).
Couché sur un tapis, Amin, un homme d’une quarantaine d’années, est filmé par son ami Jonas et répond à ses questions. Jusque-là, il n’avait pas voulu, ou pas pu, raconter son histoire. Il est sur le point de se marier avec son partenaire, Kasper. Ils vont habiter une maison, lui qui a été depuis l’adolescence privé d’un chez-soi, d’un lieu où l’on puisse revenir. C’est le moment de tourner la page et se confier, sur ce tapis comme sur le divan d’un psychanalyste.
Amin a vécu une enfance heureuse à Kaboul, dans un milieu privilégié, jusqu’à ce que son père soit enlevé par la police du régime pro-soviétique et disparaisse sans laisser de traces à la fin des années 1980. La mère et les enfants s’enfuient (« flee ») de Kaboul peu avant l’arrivée des Moudjahidines en 1992. Ils trouvent refuge en Russie, seul pays à leur avoir accordé un visa de tourisme.
La vie à Moscou devient de plus en plus difficile : le permis de séjour a expiré, la police est violente et corrompue, la misère rode. Deux sœurs parviennent à gagner la Suède, où le frère aîné a pu trouver refuge, mais elles manquent de mourir à bord du conteneur où elles avaient été enfermées avec des dizaines de migrants. Amin et sa mère tentent leur chance. Le bateau où ils sont entassés connait une avarie. Un immense navire de croisière norvégien les repère, le bonheur est à portée de main. Mais la police estonienne les intercepte : séjour de plusieurs mois dans un centre de rétention, retour à Moscou.
Le frère aîné contacte des passeurs plus sûrs, plus chers aussi. Amin est exfiltré avec un faux passeport, via Istanbul. À l’aéroport de Copenhague, il doit détruire ce passeport et raconter l’histoire que les passeurs lui ont fait apprendre par cœur : il a voyagé seul, toute sa famille est morte. Il obtient le statut de réfugié, mais vit cadenassé dans ce lourd secret. Il doit aussi accepter son orientation sexuelle, lui qui a grandi dans une culture qui considère l’homosexualité comme un péché.
Jonas Poher Rasmussen a conçu son film comme un roman graphique animé, qui mêle l’interview d’Amin, des souvenirs de son enfance heureuse et de son adolescence de fuyard ainsi que des moments de sa vie présente d’intellectuel internationalement reconnu et d’amant à la recherche d’un équilibre. Les images sont généralement nettes, colorées et contrastées ; parfois, lorsque la mémoire se bouscule, on ne voit que des traits noirs, fugaces. Par moments, des images d’archive rendent présente l’Afghanistan des années 1990 et la tragédie des migrants dans la Baltique.
Le recours à la technique d’animation permet au réalisateur et à son ami de conserver l’anonymat et d’aller loin dans la confidence. Il rend ce film unique et bouleversant.