Dans « je me souviens de tous vos rêves » (2016), René Frégni tient une chronique de sa vie, l’espace d’un automne et d’un hiver à Manosque.
L’événement central du livre est la mort de son chat, appelé Baumette en hommage à son lieu de naissance. Encore chaton, celui-ci était tombé du toit de l’ancien quartier des condamnés à mort de la prison des Baumettes. Les détenus qu’il rencontrait pour un atelier d’écriture n’en pouvaient plus d’entendre ses cris de détresse. « Peut-être leur ressemblait-il un peu. Un jour ou l’autre ils étaient tous tombés d’un toit et ils attendaient, dans cette cité de fer et de ciment, que quelque chose se passe. »
Dix ans plus tard, Baumette meurt en s’élançant du balcon de l’appartement de son maître pour attraper un pigeon. Pour Frégni, le chagrin est profond. Pour l’oublier, il part en voyage dans les paysages enneigés de Franche Comté. C’est à un voyage qu’il nous invite d’ailleurs dans son livre : « écrivez le mot gare et montez dans un train qui n’existe pas »
René Frégni aime « marcher en rêvant et cueillir partout la beauté ». Il aime « traverser des forêts de chênes, d’ifs, de hêtres, d’érables, de tilleurs et de sorbiers. Entrer, dès les premiers rayons, dans ces cathédrales de lumière pour oublier l’odeur métallique de la haine et du sang. »
Il aime aussi rencontrer les gens. Les enfants à la fête de qui il joue le Père Noël, un Père Noël à 6 euros dit-il, le coût de son déguisement. Le libraire de Banon qui par amour des livres monta une entreprise démesurée et fit faillite. Une jeune femme aperçue de sa fenêtre : « Jour et nuit, ordinateur, SMS, joints… Sans éteindre un seconde la télé. Rien d’autre depuis un an. Aucune visite, aucune trace d’amour, pas la moindre parole en face d’un regard. » Un photographe acharné à recueillir sur la pellicule des déchets et des ruines : « il photographie des débris de vie, tout ce qui va disparaître (…) Il découvre sous des monceaux de ronces un pont en fer rouillé, où le train passait dans les années cinquante, sous un panache de vapeur. J’ai l’impression qu’il répare nos mémoires chancelantes, souvent ingrates. »
René Frégni déborde d’affection pour les pauvres gens, « ce peuple d’ombres qui ne fait que passer (…) Le mot joie, le mot bonheur n’existent pas pour eux, le mot détresse non plus. Ils survivent. Ils ne seront jamais vraiment heureux, jamais vraiment tristes ; ils n’ont aucun projet (…) Ils se déplacent doucement dans les terres grises de la médiocrité. »
La période que couvre le livre inclut janvier 2015, les attentats de Charlie Hebdo. Retour à la prison. « Je vais, depuis plus de vingt ans, partager un café, quelques mots, un livre avec une poignée d’hommes, dans deux ou trois prisons autour de Marseille. Je sens monter partout la misère, les cris de haine, la peur (…) Chaque semaine, en buvant un café avec des jeunes égarés dans le béton, entre deux miradors, je leur dis : « posez vos calibres, prenez un stylo. » (…) Des jeunes sans mémoire, sans mains, sans rêves. Des jeunes qui n’existent pas. »
« Ce sont les peurs et les désirs qui nous rendent vivants, même lorsqu’ils surgissent entre deux pages, dans l’obscurité d’une prison », écrit l’auteur. « Je cherche à attraper la vie, à la pointe de mon stylo, à accrocher tout ce qui vit pour être moi-même encore plus vivant. » C’est aussi, modestement, l’ambition de ce blog, « transhumances ».
Merci Xavier pour ce post. René Fregni invité de la Grande Librairie la semaine dernière ne pouvait pas laisser les gens indifférents. On sent derrière ses mots et son regard une grande humanité, mais aussi une grande tristesse pour tous les emmurés.