La prison de Nottingham

Dans le quotidien The Guardian du 21 juin 2022, Isabel Thompson décrit la spirale négative qui a conduit la prison de Nottingham à devenir « dangereuse, irrespectueuse et menée par la drogue », selon un rapport de 2018.

La prison de sa majesté (HMP) de Nottingham a un statut proche des maisons d’arrêt françaises. Elle accueille des personnes non encore jugées, quelle que soit la gravité des délits ou des crimes qu’elles ont commis, et d’autres condamnées à de courtes peines. Dans la décennie 2010, la situation n’a cessé de se dégrader : suicides de détenus, agressions entre détenus et contre le personnel, circulation massive de stupéfiants.

L’une des raisons de cette dégradation est la surpopulation. D’une capacité de 718 places, elle a accueilli jusqu’à 1 000 détenus. Il faut reconnaître que le taux d’occupation, 139%, ferait pâlir d’envie l’administration pénitentiaire française. Ce taux est, par exemple, supérieur à 230% à la maison d’arrêt de Bordeaux Gradignan.

La prison de Nottingham

C’est donc une autre raison qu’il faut invoquer : la baisse drastique des effectifs de surveillance et d’encadrement, 25% de moins dans le cas de Nottingham. À la suite de la crise de 2008, le ministère de la Justice développa une politique de parangonnage (benchmarking), « qui visait à gérer les prisons de la manière la plus rentable possible. Le directeur de l’administration pénitentiaire fut invité à identifier les meilleurs exemples d’économies de coûts dans chaque prison d’Angleterre et du Pays de Galles, puis à les généraliser. Si les prisons avaient tendance à utiliser cinq membres du personnel pour traiter 60 nouveaux prisonniers, par exemple, mais qu’on trouvait une prison qui le faisait avec seulement trois membres du personnel, alors on enquêtait sur la façon dont ils le faisaient, et si cela semblait efficace et reproductible, cela deviendrait la « référence » par rapport à laquelle les autres prisons seraient jugées. L’analyse comparative a imposé une sorte de « nivellement par le bas » dans les prisons, rendant le strict minimum obligatoire. Tout ce qui allait au-delà de cela était considéré comme du gaspillage et a été coupé. »

Le résultat s’est révélé calamiteux. Les surveillants se sont trouvés obligés de parer sans cesse au plus pressé. Ils n’ont plus eu de temps pour parler avec les détenus. Une surveillante de Nottingham, qui a dû quitter l’établissement après trente ans de service, l’exprime ainsi : « faire un bon travail  exige une certaine alchimie. Les serrures, les barres, les boulons, les caméras et les clés sont cruciaux, mais les relations le sont aussi. Parce que les agents sont en infériorité numérique, ils comptent sur la coopération de ceux qu’ils enferment. Cela nécessite de donner et de recevoir. » Cette alchimie est devenue impossible quand est intervenue la baisse drastique des effectifs.

Surveillant dans une prison britannique

La  situation s’était tellement dégradée dans les prisons que le gouvernement dut, en 2016, recruter 2 500 agents, trois ans après avoir offert un plan de départ aux agents les mieux payés, c’est-à-dire avec le plus d’ancienneté et les plus expérimentés. Le résultat fut catastrophique : formés en huit semaines, les jeunes recrues étaient envoyées dans un véritable chaudron. Désemparés, incapables de soutenir le stress, de nombreux agents pénitentiaires se trouvèrent en arrêt maladie. Le métier de surveillant est difficile : l’alcoolisme, les divorces, l’anxiété sont plus présents que dans la population générale. En Angleterre et au Pays de Galles, plus de 1000 agents pénitentiaires furent licenciés en 2019 en raison de leur état de stress.  À Nottingham, 5 directeurs se sont succédé en l’espace de quatre ans.

En Angleterre et au Pays de Galles comme en France, la construction de nouvelles places de prison tient lieu d’alpha et d’oméga de la politique pénale : 20 000 places ont été annoncées l’an dernier, « afin de punir et de neutraliser les délinquants ». Le gouvernement de coalition conservateurs – libéraux-démocrates esquissa en 2010 une autre politique, à base de privatisation et de réduction de la population carcérale. Cette parenthèse fut vite oubliée.

Un rapport publié en 2020 souligne les progrès accomplis à la prison de Nottingham. Mais il ne faut pas oublier les leçons de la crise : un établissement pénitentiaire ne tient debout que par un personnel en nombre suffisant, expérimenté et motivé.

Cellule dans une prison britannique

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