Le Contrôle général des lieux de privation de liberté (CGLPL) vient de publier des recommandations en urgence relatives au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. On y lit notamment que « l’hébergement d’êtres humains devrait y être proscrit ».
Une inspection de l’établissement a été effectuée du 30 mai au 10 juin 2022. « Cette visite, lit-on sur le site du CGLPL, a donné lieu au constat d’un nombre important de dysfonctionnements entraînant des atteintes graves à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes détenues, dont les conditions de vie sont particulièrement indignes. » Des photos prises sur place appuient cette affirmation.
Le centre pénitentiaire se caractérise par un taux d’occupation parmi les plus élevés de France : au 1er juin, l’effectif de la population pénale s’y élevait à 864 détenus pour 434 places, soit un taux global d’occupation de 199%. Il était de 235% dans les quartiers hommes.
Surpopulation carcérale
Cette situation a de multiples conséquences pour les personnes détenues. Il est difficile d’avoir accès à un travail aux services généraux (80 postes) et aux ateliers en concession (60 postes) ainsi qu’à une formation professionnelle (52 places). Il existe de longues listes d’attente pour un rendez-vous médical, et lorsque le rendez-vous est fixé, il arrive fréquemment que les détenus ne puissent s’y rendre, faute de surveillants pour gérer le « mouvement ».
« La grande majorité des personnes incarcérées au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan, lit-on encore, sont enfermées en cellule vingt-deux heures sur vingt-quatre, sans accès à aucune activité. Cette situation s’est aggravée depuis l’instauration d’une promenade quotidienne unique, qui ne s’est pas accompagnée d’une augmentation des activités. Le temps passé en cellule peut désormais atteindre vingt-sept heures consécutives en raison des rotations des promenades par demi-coursive. »
Beaucoup de détenus disent craindre pour leur sécurité. « Les contrôleurs ont réalisé 171 entretiens formalisés avec des personnes détenues, au cours desquels nombre d’entre elles ont fait état d’un fort sentiment d’insécurité, invoquant notamment à cet égard des violences de la part de certains surveillants, la crainte de représailles en cas de plaintes relatives à leurs conditions de détention et la peur de mourir dans un incendie. Cette situation, lit-on dans le document du CGLPL, est d’autant plus alarmante que le nombre de suicides est élevé. Trois personnes détenues se sont suicidées depuis le début de l’année 2022, dont deux le mois précédant le contrôle. Six personnes s’étaient suicidées en 2021 et cinq en 2020. »
La surpopulation porte aussi préjudice aux surveillants. Dans sa réponse aux recommandations en urgence, le ministre de la Justice cite un taux d’absentéisme de plus de 28% sur les cinq premiers mois de l’année. Ainsi s’alimente un cercle vicieux, puisque les présents doivent, en plus de leurs tâches, accomplir celles des collègues absents.
Dysfonctionnements
La surpopulation complique la vie des personnes détenues comme du personnel. Mais le CGLPL note aussi des dysfonctionnements et en appelle à « une reprise en main du fonctionnement de l’établissement afin de garantir aux détenus le respect de leur dignité, de leur intégrité physique et de leurs droits fondamentaux et au personnel des conditions de travail décentes. »
Les constatations des contrôleurs font en effet froid dans le dos. En voici quelques-unes. « Les murs sont lépreux, parfois noircis, et couverts de nombreux graffitis. La luminosité naturelle est faible (21 lux) et la luminosité électrique médiocre (65 lux), les détenus devant par ailleurs occulter les ouvertures pour se protéger de la chaleur du soleil. Les lits superposés instables, en métal grinçant, présentent parfois des sommiers qui manquent de boulons pour les fixer correctement, et certains sont dépourvus d’échelle pour accéder au couchage supérieur. Les matelas de mousse, dépourvus de housse de protection, sont extrêmement sales et maculés de tâches. Ils ne sont pas nettoyés entre deux utilisations et absorbent la poussière et l’eau stagnante en cas d’inondation. L’eau des lavabos s’écoule sur la faïence puis sur le sol, plutôt que dans la vasque. Les WC ne sont séparés du reste de la cellule que par une mince cloison de contreplaqué dont la hauteur de 2 m n’atteint pas le plafond, et n’ont pas de porte ou des portes incomplètes. Les personnes détenues confectionnent des rideaux de fortune, en déchirant des draps, afin de s’assurer un minimum d’intimité (…)
« Les personnes détenues ne sont pas autorisées à se doucher les dimanches et les jours fériés …) La distribution de deux rouleaux de papier toilette et d’un sac à ordures, censée répondre à un rythme mensuel, est souvent espacée de deux mois et la distribution de draps propres, prévue toutes les deux semaines, est aléatoire. Le même véhicule, non réfrigéré et non nettoyé, est utilisé pour le transport du linge souillé et de denrées alimentaires fraîches conditionnées en cagettes, à l’air libre, sans aucun respect de la chaine du froid ni prévention d’aucun risque de contamination. »
Appel à une inspection approfondie
Dans sa conclusion, le CGLPL demande au ministre de la Justice de faire procéder à une inspection approfondie de l’établissement et d’informer le CGLPL de ses conclusions ainsi que du plan d’action qui en découlera.
En réponse aux recommandations, le ministre, Éric Dupont-Moretti, ignore la demande d’une inspection approfondie. Il rappelle qu’une nouvelle prison est en construction qui, d’ici cinq ans, remplacera la prison actuelle. Le CGPL avait toutefois déploré « le caractère d’ores et déjà sous-dimensionné de ce projet, puisque les 600 futures places d’hébergement ont vocation à accueillir presque 900 détenus : avant même de sortir de terre, les nouveaux locaux du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan sont en situation de suroccupation à hauteur de 150 % ! »
La réponse du ministre ouvre une perspective intéressante quant au flux d’entrants à la maison d’arrêt. Elle annonce en effet que la direction régionale des services pénitentiaires prépare une convention cadre avec les juridictions de Gironde, Charente maritime et Dordogne, afin de mettre en place conjointement un mécanisme de régulation, comme cela s’est fait à Grenoble.
L’ingéniosité des personnes détenues
Le ministre répond point par point sur les dysfonctionnements pointés par le CGLPL. On s’amuse, à la lecture de son document, à découvrir en creux l’ingéniosité des détenus face aux contraintes qui leur sont imposées. « Les matelas mis en dotation sont achetés avec des housses inamovibles issus du marché national. Les personnes détenues les dégradent néanmoins pour confectionner des « yoyos » (cordes utilisées pour passer, par balancement, des objets d’une cellule à l’autre).
« S’agissant des toilettes, les cloisons et portes sont installées dans les cellules. Néanmoins, ces équipements sont détournés de leur destination par les occupants des cellules, qui les démontent pour s’en servir de table et se servent de draps pour confectionner des rideaux suppléant la porte : ou encore s’en servir de vérin pour écarter les caillebotis des fenêtres.
« Les contrôleurs ont indiqué que la dégradation des plaques chauffantes, des joints des réfrigérateurs ou des installations téléphoniques était notamment provoquée par les nuisibles tels que les cafards. En pratique, il faut préciser que ces dégradations sont généralement le fait des personnes détenues qui détournent l’usage de ces équipements (création chargeurs artisanaux avec câble électrique pour téléphone portable interdit en détention, dispositif de cache dans les jointures des réfrigérateurs notamment). »
(Les photos illustrant cet article sont tirées du document émis par le CGLPL)
L’insuffisance des mesures et moyens favorisant l’insertion et la reinsertion professionnelle et sociale favorise la récidive et a pour conséquence la surpopulation carcérale . Au delà de la fréquente vétusté des locaux s’ajoutent les dégradations liées à la surpopulation
A quand la prise en compte de cette situation par les responsables concernés ?