« Anatomia di un cuore selvaggio » (« Anatomie d’un cœur sauvage », traduit par Florence Rigollet, Éditions Hors Collection, 2021) est l’autobiographie de l’actrice, réalisatrice et chanteuse italienne Asia Argento, née en 1975. Les traductions d’extraits de ce livre dans cet article sont de l’auteur de « transhumances ».
Asia Argento s’est mise à l’écriture sur les instances de sa psychanalyste pour assumer une histoire cabossée : une enfance ballotée entre indifférence et violence, le gouffre de douleur de la mort de sa sœur Anna, les années d’abus de stupéfiants, les viols quand elle avait vingt ans, une fibromyalgie, la difficulté à élever seule deux enfants.
L’autrice est fille du réalisateur Dario Argento et de l’actrice Daria Nicolodi. « Mon enfance fut faite d’oscillation entre des moments sombres, composés de violence et d’abandon et d’épisodes pendant lesquels notre vie était guidée par l’âme créative de nos parents. ».
« Mon lit de bébé, écrit-elle, était tourné vers la fenêtre et moi, seulement moi, regardais la nuit pendant que j’attendais le baiser de la bonne nuit que maman me promettait mais qu’elle ne venait jamais me donner. Je m’endormais en attendant ce baiser, toujours refusé, et en observant la lune. » L’autobiographie d’Asia s’ouvre sur le mot « sticazzi », que l’on peut traduire par « va te faire foutre ! » Indifférence dont elle souffrit enfant ; indifférence à l’égard des opinions malveillantes, dont elle fera une arme pour la vie.
Lorsqu’après dix ans de vie commune, d’amour passionné puis de haine, les parents se séparent, ses demi-sœurs Fiore et Anna partent vivre l’une chez son père, l’autre chez sa mère. Asia vit entre les deux, tantôt accueillie, tantôt chassée, parcourant Rome avec son chat en cage. « Mon enfance était un chaos sans point fixe (…) Je parcourais toute seule les limbes entre leurs deux maisons avec la sensation de ne pas avoir une place précise dans le monde. » Elle se mouvait avec un lourd bagage de désespoir, son fidèle ami poilu, « et une immense liberté que j’aurais volontiers échangée contre un petit bout de stabilité. »
Asia vit dans et pour le cinéma, avec un premier rôle à l’âge de neuf ans. Grâce au cinéma, elle devient totalement indépendante dès l’âge de dix-sept ans. « J’étais libre, d’une manière si radicale qu’elle devenait éblouissante pour les autres et parfois douloureuse pour moi. » Elle est habitée par une volonté de revanche, celle de reprendre ce qui lui a été refusé pendant l’enfance.
En 2017, Asia Argento est l’une des premières à dénoncer le producteur Harvey Weinstein pour un viol subi à Cannes vingt ans auparavant, alors qu’elle vivait avec le réalisateur français Leos Carax. Son jugement sur les deux hommes est terrible : « Ce gros porc de Wenstein lévitait, exactement comme Leos, mais pour d’autres raisons. Tous deux lévitaient car ils étaient des ballons gonflés. »
Asia évoque le traumatisme subi du fait de ce viol : « si quelque chose d’irrésolu à l’intérieur de moi ne m’avait jamais permis de m’aimer complètement, après ce jour je commençai à me mépriser. Je continuais à me répéter que j’étais une putain et que je l’avais bien cherché. » Dans les mois et les années suivantes, Wenstein continue à harceler la jeune femme : « l’ogre continuait à prendre des morceaux de moi avec la bouche, morceaux qui ne me seraient jamais restitués. »
« J’ai toujours espéré rencontrer, un jour, une personne qui m’aurait embrassée comme on le fait avec un petit enfant et que dans ces bras j’aurais trouvé ma place dans le monde, finalement. » Mais, à de rares exceptions près, les hommes l’ont déçue : « presque tous les hommes que j’ai eu l’illusion d’aimer se sont révélés manquer chroniquement de sécurité, être complexés terrorisés par tout ce qui les regardait en profondeur, du cerveau à la quéquette. » Font exception le metteur en scène Michele Civetta, qui lui a donné un fils et pendant cinq ans un intervalle de normalité ; et surtout le chef cuisinier et homme de télévision Anthony Bourdain, qu’elle aima passionnément et dont elle vécut le suicide, en 2018, comme un désastre personnel.
L’engagement d’Asia dans ce qui allait devenir le mouvement « me-too » lui valut des haines, qui éclatèrent après la mort d’Anthony. « N’importe qui se sentait le devoir de proférer des jugements, de me menacer et de m’insulter sur les réseaux sociaux. Des centaines de personnes m’écrivirent pour me dire que c’est moi qui l’avais tué. »
Pendant l’épidémie de Covid, Asia Argento s’est réconciliée avec son père et avec sa mère, qu’elle a accompagnée dans sa fin de vie. « L’unique façon d’affronter les traumatismes vécus pendant l’enfance, écrit-elle, est de mettre de côté les ressentiments et de pardonner. Le risque est de rester toujours des personnes à moitié, qui marchent à l’envers comme les crabes, tournant le dos au futur, les yeux toujours tournés vers le passé, incapables de vivre le présent. »
Au sortir de l’adolescence, je m’étais promis de vivre une vie intense. La vie d’Asia Argento est brûlante d’intensité. Son carburant est la souffrance, celle de se sentir rejetée lorsqu’elle était enfant, et celle des multiples ruptures subies ou choisies, celle des combats menés. « Je suis seule à savoir la force qu’il a fallu pour devenir celle que je suis, comme personne et comme femme, combien de courage pour ne jamais me raconter d’histoires à moi-même, pour traîner dans le monde ce cœur sauvage, pour dégainer l’épée chaque fois qu’un dragon faisait obstacle à mon chemin. »
L’autobiographie d’Asia Argento est un livre bouleversant. Je l’avais découvert dans une émission de France Culture, Affaires Culturelles.