En 2021, 122 personnes détenues se sont suicidées en détention, une tous les trois jours. Beaucoup ont pensé ou pensent mettre fin à leurs jours. La prévention du suicide est une priorité de l’administration pénitentiaire.
Le taux de suicide en prison, sur la période 2005-2010, était de 18,5 pour 10 000 ; dans la population générale, de 2,7 pour 10 000, soit un rapport d’un à sept. Il faut remarquer que l’écart est plus réduit si l’on considère des populations comparables (en majorité des hommes en situation de précarité). Il reste que rares sont les détenus qui n’ont pas été confrontés au suicide d’un camarade, et rares les surveillants qui n’ont pas fait face à un suicide ou à une tentative.
Le « choc carcéral », la sidération provoquée par la coupure brutale du monde habituel, est à l’origine de nombreux suicides : 17% des suicides en prison ont lieu lors des dix premiers jours d’incarcération. Les arrivants sont systématiquement interrogés, généralement par un conseiller d’insertion et de probation qui utilise une grille d’évaluation du potentiel suicidaire. Si le risque de passage à l’acte est jugé imminent, la personne est dotée d’un kit de vêtements et de draps déchirables et placée dans une cellule de protection d’urgence aux parois lisses, sans possibilité d’accrochage.
La Commission pluridisciplinaire unique, qui regroupe les professionnels de la prison (encadrement, surveillance, insertion et probation, santé…) suit régulièrement la situation des personnes repérées comme suicidaires. Dans certains établissements, des « codétenus de soutien » volontaires se mettent à l’écoute de détenus en détresse psychologique. Ils reçoivent une formation spécifique et peuvent, pour les rencontrer, se déplacer au sein de leur étage ou de leur quartier.
À l’échelle régionale, une commission de prévention du suicide et des actes suicidaires réunit professionnels et intervenants bénévoles pour faire le point des actions menées pour réduire le taux de suicide et de leurs résultats.
Si le suicide a une telle prévalence en prison, c’est que la souffrance psychique est intense. En maison d’arrêt, l’incertitude est la règle : à tout moment, une décision de justice peut bouleverser la vie du détenu ; l’approche du procès est anxiogène. Chaque acte de la vie dépend d’autrui, de l’heure de la douche ou de la promenade à la date d’un rendez-vous médical. En établissement pour longue peine, le désespoir peut s’infiltrer insidieusement et devenir, à un certain point, insupportable.
Une formation organisée récemment à Bordeaux pour les visiteurs de personnes sous main de justice par leur association, l’ANVP, insistait sur le fait que le passage à l’acte suicidaire est un processus. La personne détenue souffre psychiquement, et sa douleur devient intolérable. Elle cherche des solutions auprès de sa famille, de ses codétenus, des surveillants, des conseillers d’insertion, du service de santé, des intervenants bénévoles. À mesure que ces solutions s’avèrent impraticables, l’idée de tuer la souffrance en se supprimant soi-même s’installe. L’idée, théorique d’abord, devient concrète : on imagine un scénario, le moyen de mourir, la date, le lieu.
La formation visait à faire comprendre aux visiteurs qu’ils ont un rôle à jouer. Leur déontologie les oblige à signaler à l’administration les risques suicidaires qu’ils détectent chez les détenus qu’ils rencontrent. La formation les incitait à aller plus loin, à ne pas craindre d’interroger les personnes rencontrées : « qu’est-ce qui fait que la vie ne vous intéresse plus ? Quelle est votre solution pour arrêter de souffrir ? » Le simple fait de reconnaître une souffrance, de la valider, peut contribuer à la réduire, à aider la personne désespérée à reprendre la main sur le cours de sa vie.
L’idée d’empêcher les personnes de se suicider en prison ne va pas de soi. La souffrance psychique est structurelle : l’institution est même faite pour imposer une souffrance, celle d’être privé de liberté. La prévention du suicide passe par un contrôle accru : repérage, mesures contraignantes pouvant aller jusqu’à l’hospitalisation contrainte dans une unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA). Pour les détenus en grande souffrance, se donner la mort peut apparaître comme le seul acte de liberté à leur portée.
Pourtant, a-t-on appris pendant la formation, se suicider n’est pas vraiment un choix. C’est l’unique voie possible lorsqu’il n’y a pas d’autre option. Parler à la personne en souffrance lui offre la possibilité de revenir en arrière, d’explorer de nouveau les solutions alternatives pour apaiser sa douleur et peut-être d’en découvrir de nouvelles. C’est un acte de premier secours, analogue à l’attention portée à un cycliste victime d’un accident de la route. Il relève de l’assistance à personne en danger. Il n’est pas facultatif.
Ce n’est pas facile du moins en ce qui m e concerne d’exprimer mon sentiment sur les suicides en prison. Au fil des années de mes visites en détention j’ai, tout de même acquis quelques convictions. la premier c’est que quel que soit la qualité de l’évaluation du prévenu concernant la possibilité d’un risque suicidaire,il me semble que pour un individu décider à en finir la détection de cette « décision » me semble très difficile à déceler sinon impossible. Parce que l’on parle peu, en dehors de la souffrance physiologique de incarcération, qui est réelle bien évidemment d’un élément; qui me semble essentiel à mes yeux. J’ai rencontré quelques détenus qui se sont rendu compte de l’extrême gravité de leurs actes. Il me semble que, pour certains, ce soit ce motif qui pourrait les pousser au suicide. Et, je pense qu’un détenu qui a véritablement décidé d’en finir, arrivera toujours à ses fins.quel que soit les moyens de prévention que l’on pourra mettre en œuvre.
On ne cessera jamais de parler de ce problème récurrent en prison et de la nécessité de se former, de se sensibiliser au minimum, même si parler de la mort nous gêne. Merci Xavier.