Les mémoires du peintre Hans Hartung (1904 – 1989), initialement publiées en 1976, ont fait l’objet d’une édition critique par la Fondation Hartung-Bergman en 2016 puis 2020 aux Éditions Les Presses du Réel.
L’envie de lire ce livre m’est venue à l’occasion d’une visite à la Fondation. Il est le récit d’une existence romanesque et d’un parcours artistique profondément original.
La vie d’Hans Hartung a deux versants : la galère, jusqu’à la fin des années 1940 ; la gloire des années 1950 à sa mort à l’âge de 85 ans, onze ans après avoir publié cette autobiographie.
Rembrandt
Né à Leipzig, élève brillant mais de santé fragile et de tempérament solitaire, Hans Hartung est bouleversé par un tableau de Rembrandt, exposé à Brunswick, « la Famille » : « devant ce tableau, j’eus soudain la révélation de ce que je ferais plus tard (…) Si vous isolez un détail du vêtement (la robe de la mère), si vous l’agrandissez à la dimension d’un tableau, cela donne une peinture pure – dans sa profondeur, par ses lignes, ses taches, ses rythmes abstraits. On sent ce que cet homme aurait fait actuellement. »
Il part à Paris, alors la capitale artistique de l’Europe et y rencontre, en 1929, une artiste norvégienne de 20 ans, « une jeune fille menue aux yeux bleus », Anna-Eva Bergman. Ils se marient, décident de vivre à Minorque, construisent sur l’île une grande maison blanche, mais accusés d’espionnage et ostracisés par la population, ils doivent revenir à Paris.
Anna-Eva souffre de graves problèmes intestinaux qui nécessitent des opérations chirurgicales, elle ne supporte plus les difficultés financières de son couple et, sous la pression de sa mère, elle abandonne Hans et se remarie avec un industriel. De son côté, Hans épouse Roberta Gonzalez, fille du sculpteur Julio Gonzalez. Hans et Anna-Eva se retrouveront après la guerre, en 1952. Ils se marieront de nouveau pour ne plus se quitter.
Contre le nazisme
Hans Hartung se définit comme un homme libre. Il ne supporte pas le nazisme. Il s’engage dans la Légion étrangère pour combattre contre son propre pays, subit un entraînement militaire à Sidi Bel Abbes, puis est employé à décorer le réfectoire de la caserne. Il se réfugie dans le Lot, en zone libre, chez les Gonzalez, Lorsque la Wehrmacht envahit la zone libre, il se réfugie en Espagne. Il connait deux prisons et le camp de concentration de Miranda del Ebro. Il rejoint la France Libre au Maroc, est réincorporé à la Légion Étrangère, participe à la bataille des Vosges comme brancardier, est blessé, amputé d’une jambe.
Après la guerre, l’art abstrait a le vent en poupe. Hartung distingue l’art abstrait géométrique, celui pratiqué excellement par Rothko, par exemple, et ce qu’il nomme « l’art abstrait lyrique, gestuel ou informel », qui réintroduit « le psychisme, la sensibilité et l’émotion de l’homme face à son destin, sa dépendance et son interrogation face à l’univers. »
Je veux rester libre
Hartung devient riche et célèbre. Avec Anna-Eva, ils s’installent sur les hauteurs d’Antibes et construisent une grande maison blanche aux volumes cubiques, au milieu des oliviers. Il dispose d’un grand atelier, où il peut enfin exécuter des toiles de grandes dimensions, à l’aide de techniques qu’il ne cesse d’expérimenter.
« Quant à moi, écrit-il, je veux rester libre. D’esprit, de pensée. D’action. Ne pas se laisser enfermer, ni par les autres, ni par moi-même (…) La volonté de juger les choses moi-même. Même seul, même si je me trompe. Parce que cet effort personnel est nécessaire, essentiel. Il fait vivre plus intensément. »
« L’essence de Dieu nous est absolument inconnue. Il nous est donc permis de croire que rien ne se perd totalement, mais que tout reste inscrit dans le centre de cette énergie mystérieuse qui régit le monde (…)
« Nous ne savons toujours rien sur cette force au-delà de tout, ce centre spirituel qui a créé et qui régit les lois de l’univers. C’est l’intelligence absolue, sans bornes, hors des concepts du temps et de l’espace (…)
« Peindre a toujours supposé pour moi l’existence de la réalité, cette réalité qui est résistance, élan, rythme, poussée, mais que je n’appréhende totalement qu’autant que je la saisis, que je la cerne, que je l’immobilise pour un instant que je voudrais voir durer toujours. »