Pour un accès à Internet en prison

643 organisations et personnes physiques impliquées dans les prisons françaises ont fait parvenir, le 28 septembre, une lettre ouverte à la première ministre Élisabeth Borne pour demander la mise en place d’un accès à Internet en prison.

Je suis signataire de cette lettre, ainsi que l’association à laquelle j’appartiens, l’Association nationale des visiteurs de personnes sous main de justice.  L’accès des personnes détenues à Internet existe dans plusieurs pays, mais pas en France. L’Administration pénitentiaire cherche à développer le numérique en détention, mais uniquement sous la forme d’un Intranet facilitant la gestion interne (par exemple les achats de « cantine » ou les prises de rendez-vous) et la diffusion de certains contenus de formation.

La lettre ouverte défend l’accès à l’Internet comme un moyen de faciliter le retour des personnes incarcérées dans la société. « Outil d’émancipation, d’autonomisation – notamment dans les démarches administratives – et d’atténuation de la ségrégation due à l’enfermement physique, l’accès à Internet conditionne l’effectivité de nombreux droits : droit à l’information, droits de la défense, droit à une vie privée et familiale, etc. Il constitue également un levier majeur pour développer et diversifier l’offre de loisirs, d’enseignement, de formation et de travail, pour limiter les phénomènes de dépendance et d’exclusion, pour préparer la sortie et, plus généralement, pour atténuer la rupture vis-à-vis des modes de fonctionnement de la société libre. La prison ne devrait être que la privation de la liberté d’aller et de venir, et rien d’autre. »

 

Pourquoi faut-il ouvrir l’accès à Internet en prison ?

Ouvrir l’accès à Internet permettrait aux personnes détenues de communiquer avec leurs proches. Aujourd’hui, seuls des appels téléphoniques « sortants » sont autorisés. Ils coûtent cher, particulièrement vers des portables, encore plus vers l’étranger. Utiliser les messageries sur Internet serait gratuit. Il serait aussi possible de recevoir des appels « entrants », d’être informé immédiatement d’un événement touchant la famille ou les amis.

On peut ajouter un argument. Bien que prohibé, l’accès à Internet existe en prison. Dans une maison d’arrêt de Nouvelle-Aquitaine, les surveillants ont confisqué l’an dernier presque autant de téléphones portables qu’il n’y a de détenus. Une partie de ces appareils sont des smartphones. La prise de vidéos en détention et leur diffusion sur les réseaux sociaux ne sont pas rares. Mais seuls accèdent à Internet les détenus qui disposent de réseaux solides leur permettant de faire entrer le matériel et de le cacher, autrement dit ceux qui sont le plus ancrés dans la délinquance. La prohibition s’avère inéquitable et contre-productive.

 

Pourquoi la France est-elle en retard ?

Qu’est-ce qui explique le retard de la France dans l’Internet en prison ? Pour une part, il est imputable à la culture punitive dominante dans notre pays. Dans l’imaginaire collectif, l’expiation passe par la souffrance : non aux « prisons cinq étoiles » ! Toute mesure venant réduire la peine des détenus (à tous les sens du terme) est, pour une large fraction de l’opinion, inacceptable.

Les responsables politiques, conscients de l’insoutenabilité de la prohibition, pourraient toutefois aller à contrecourant de l’opinion, si la montagne à escalader ne leur apparaissait pas vertigineuse. Cette montagne, c’est l’institution pénitentiaire construite depuis des décennies sur l’obsession du « zéro-évasion ». Quels que soient les délits ou les crimes commis, quelle que soit la dangerosité des justiciables, les détenus sont enfermés sous un régime unique, celui de la sécurité maximum. Cette situation rend problématique une approche segmentée de l’accès à Internet : puisque tout le monde vit sous les mêmes contraintes, comment permettre à certains détenus, mieux intégrés, moins enclins à la récidive, de surfer sur le net et l’interdire à leur voisin de cellule ?

 

Comment avancer ?

Comment rendre possible l’accès à Internet, tout en faisant droit aux légitimes préoccupations de sécurité exprimées par les personnels pénitentiaires ? Tout en maintenant l’interdiction d’appareils introduits en fraude, il faudrait équiper les cellules en terminaux connectés. Il faudrait donner au service du renseignement pénitentiaire des outils pour écouter les flux échangés sur ces terminaux et alerter la direction de l’établissement sur les risques (projets d’évasion, processus suicidaires, radicalisation…)

L’approche devrait être graduelle et expérimentale. Les premiers terminaux pourraient être installés dans les structures d’accompagnement à la sortie (SAS), dans les modules « Respect » (dans lesquels les détenus bénéficient de plus de liberté de mouvement en contrepartie d’engagements de civilité), dans certains centres de détention.

À terme, l’introduction d’Internet devrait pousser à diversifier les régimes de détention, de sorte que l’on puisse en restreindre l’accès seulement pour les détenus qui en feraient un usage inapproprié ou représenteraient un danger pour la société. Dans l’immédiat, ce qui importe c’est de se mettre en marche.

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