Dans « À l’imparfait de l’objectif » (Belfond 1958 et Babel 1995), Robert Doisneau (1912 – 1994) raconte ses souvenirs et dresse le portrait d’hommes et de femmes, inconnus ou célèbres, dont la rencontre l’a marqué.
Le titre du livre lui a été inspiré par Jacques Prévert :
« C’est toujours à l’imparfait de l’objectif
Que tu conjugues le verbe photographier. »
Le livre ne suit pas un ordre chronologique. Il constitue surtout un hommage à son art, la photographie, qu’il a exercé comme « un braconnier farouche » qui, « patiemment, a voulu transformer l’éphémère en un objet relativement durable. »
Son livre, quoique littéraire, est plein d’instantanés. Après une journée en la compagnie de Cavanna : « quand la nuit est venue, j’avais appris qu’il suffit d’une journée pour se faire un ami d’enfance. » Au sujet d’Henri Cartier-Bresson : « Ce qui peut paraître surprenant, c’est que les images, conçues au prix de mille tourments, présentent, en leur cadrage infaillible, tant d’équilibre et de paix (…) Une seule (comparaison) me semble juste, celle du tir à l’arc. »
Voici comment Doisneau raconte sa vie, sa vie de photographe.
« Nulle part ailleurs je n’aurais eu le privilège de rencontrer tant d’individus différents que dans cette cour de récréation où j’ai joué au photographe ambulant.
Dites-moi quelle autre profession m’aurait permis d’entrer dans la cage aux lions du zoo de Vincennes et dans l’atelier de Picasso.
De descendre dans une mine de charbon et de grimper dans la coupole d’un observatoire.
De voir le professeur Leibovici ouvrir un ventre, de contempler Louis de Broglie devant un tableau noir couvert de hiéroglyphes.
De me réveiller un matin, en Provence, parmi les moutons de la transhumance.
D’être dans la cuisine où Blaise Cendrars écrivait l’Homme foudroyé.
De me promener sur un pont roulant au-dessus de l’enfer d’une usine sidérurgique (…)
Jamais autant d’occasions d’écarquiller les yeux ne m’auraient été offertes si j’avais été chef de rayon ou contrôleur des poids et mesures. »
Né et grandi à Gentilly, Doisneau revendique son pédigrée banlieusard. « Bien sûr, il faut être soi-même un pur produit de la banlieue, comme elle un agglomérat de scories pour être gagné … par l’exaltation, en marchant, en marchant dans les rues Jean-Jaurès ou Benoît-Malon, toutes pareillement bordées de pavillons en mâchefer, avec leurs grilles derrière lesquelles gueule le berger allemand. »
J’ai acheté « À l’imparfait de l’objectif » à la Gare Robert Doisneau, une étape de la piste cyclable qui descend de Sarlat à la Dordogne. C’est un beau livre, empreint de poésie et d’humour.