Tomás Nevinson

« Tomás Nevinson » est le dernier roman de Javier Marías, décédé le 11 septembre dernier à l’âge de soixante-dix ans.

 De père anglais et de mère espagnole, Tomás Nevinson est âgé de 48 ans en 1997. Il a fait carrière dans les services secrets britanniques et se croyait retiré des affaires depuis que, trois ans auparavant, il était réapparu à Madrid. Sa femme Berta et ses deux enfants le croyaient mort.

 Son ancien chef, Bertam Tupra, le convainc de reprendre du service. Il s’agit de démasquer une terroriste de l’IRA irlandaise qui avait prêté un soutien décisif à l’ETA basque pour l’organisation de deux attentats commis en 1987 à Barcelone et Saragosse. Comme Nevinson, elle a une double culture. Elle s’appelle Magdalena Orúe O’Dea. Ce que l’on sait d’elle, c’est qu’elle se cache dans une ville du nord-ouest de l’Espagne sous l’identité d’Inés Marzán, de Cecilia Bayo ou de María Viana, trois femmes arrivées dans cette ville quelque mois après les attentats.

L’enjeu c’est de l’empêcher de récidiver, si possible la traîner devant un tribunal, sinon la « sortir du tableau », en clair l’assassiner. Magdalena se cache-t-elle sous l’identité d’Inés, propriétaire d’un restaurant à succès, dont Tomás parviendra à devenir l’amant ? De Cecilia, collègue de Tomás dans le collège où celui-ci enseigne la langue anglaise ? Ou bien de Maria, épouse d’un de ces notables inaccessibles, convaincus qu’ils ennoblissement ceux qui les entourent, dont il parviendra à s’approcher en donnant des cours particuliers à leurs enfants ?

 Au fil des mois, Nevinson accumule les observations sur ses cibles, mais ne parvient pas à recueillir des preuves, ni même à se forger une conviction. Tupra s’impatiente : l’ETA vient d’exécuter de sang froid un obscur conseiller du Parti Populaire, soulevant une vague d’indignation. L’une des femmes est désignée comme l’incarnation très probable de la terroriste hispano-irlandaise. Elle doit mourir. Tomás Nevinson est chargé de l’exécution, mais faire mourir une femme lui répugne.

Ce livre de plus de 400 pages offre au lecteur un portrait fouillé des personnages, à mesure qu’ils sont confrontés aux situations créées par l’initiative de Nevinson ou par l’actualité. Son thème central est celui de la trahison. Si Tomás se fait ami ou amant d’Inés, Cecilia et María, c’est pour les envoyer en prison ou les tuer une fois qu’il aura démasqué Magdalena.

 Il évoque notre lâcheté, à nous citoyens. Nous savons que le renseignement est plus efficace que toutes les « guerres contre le terrorisme ». Nous acceptons que d’autres, pour notre compte, infiltrent et trahissent, mais nous n’accepterions pas nous-mêmes de commettre de telles vilénies.

 Il porte un regard sans indulgence sur les terroristes. « Ils ne sont pas patriotes ni révolutionnaires ni croyants ni militants. Avant tout ce sont des assassins, et ensuite ils cherchent un milieu dans lequel assassiner est récompensé et applaudi par beaucoup. » Il souligne le caractère irréversible d’une trajectoire terroriste : « ajouter et ajouter, c’est sûrement la seule voie qui reste aux assassins de masse. »

 Tomás a tué deux hommes de ses mains lors de sa carrière d’agent secret. Leurs derniers instants restent gravés dans sa mémoire. « Non, lit-il dans les yeux de sa victime, ce n’est pas en train d’arriver, c’est une fable, ce n’est pas possible que je sois sur le point de ne plus rien voir ni entendre ni à prononcer aucun mot, que cette tête qui fonctionne encore s’arrête et s’éteigne comme une ampoule grillée, elle qui est encore pleine, ne cesse pas et me tourmente. »

 Le roman de Javier Marías est généralement sombre, mais contient des moments d’humour. Tupra et Nevinson tentent de se parler dans un restaurant madrilène, mais comme souvent en Espagne, le bruit est assourdissant. Assis dos à Tupra, un homme pérore d’une voix forte. Soudain il se tait. Tupra lui a planté sa fourchette dans les reins et lui a glissé quelques mots incompréhensibles à l’oreille en anglais. « C’est un étranger cinglé », dit-il à son public, avant d’aller piteusement payer la note.

 « Transhumances » a rendu compte de deux autres romans de Javier Marías : Corazón tan blanco et Los enamoramientos.

Javier Marias

2 réflexions sur « Tomás Nevinson »

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