Dans « un récit de ténèbres et d’espoir » (Bloomsbury 2016, non traduit en français), Erwin James raconte son enfance cabossée et la longue dérive vers l’alcoolisme et la violence, sanctionnée en 1984 par une condamnation à la prison à perpétuité pour un double meurtre.
Il raconte aussi son long processus de rédemption grâce à une psychologue de prison, Joan Branton, à qui le livre est dédié. Le titre du livre en anglais est d’ailleurs « Redeemable, a memoir of Darkness and Hope ». Le vocable « Redeemable », que l’on peut traduire par « rachetable » appartient à la théologie chrétienne de la rédemption. Dans le lexique de la France laïque, on utiliserait probablement « réinsérable », pour désigner une personne qui parvient à changer de route et à se réconcilier avec la société.
« Transhumances » a rendu compte du premier livre d’Erwin James, « une vie dedans », recueil de chroniques rédigées au long de ses dernières années de détention, formidable témoignage sur la vie en prison.
Dans « Redeemable », James Erwin raconte sa vie avant la prison (1957 – 1984). On lit dans son site Internet : « Erwin James Monahan est né de parents écossais itinérants dans le Somerset en 1957. Un mode de vie familial décrit comme « brutal et déraciné » par un psychologue de la prison après la mort de sa mère quand James avait sept ans, a conduit à une éducation formelle limitée. À l’âge de dix ans, il dormait dans la rue lorsqu’il a reçu sa première condamnation pénale, pour le cambriolage d’une confiserie, ce qui lui a valu d’être placé en institution. Il l’a quittée à 15 ans et a passé le reste de son adolescence et le début de ses années d’adulte à dérive, vivant avec des membres de sa famille élargie et dormant souvent dans la rue. Au cours de cette période, il a occupé divers emplois, mais a également commis des délits relativement mineurs, principalement des vols, mais parfois violents, ce qui entraîna deux périodes d’incarcération dans des prisons pour jeunes. »
Il commet un double meurtre, qu’il niera devant ses juges, et prend la fuite en France et réussit à se faire recruter par la Légion Étrangère. Lorsqu’il apprend qu’il est recherché par la police anglaise, il se constitue prisonnier en France, il est transféré en Angleterre et condamné à la prison à perpétuité malgré ses dénégations.
Un personnage clé de son existence est son père, qui tenta plusieurs fois de refaire sa vie avec des femmes que, sous l’emprise de l’alcool, il violentait. « Mon amour pour mon père n’a jamais diminué, écrit Erwin James. Il a simplement coexisté avec ma répugnance à son égard. » Quelques mois avant sa mort, il tente d’obtenir des explications. « Je voulais que (mon père) explique son comportement après que (ma mère) fût tuée. Je voulais savoir pourquoi il m’avait traité si mal lorsque j’étais encore un enfant, quand j’avais tant besoin d’être aimé. Pourquoi avait-il accepté que je sois confié à l’assistance sociale à l’enfance ? Pourquoi avait-il abandonné ma sœur ? Je voulais savoir pourquoi il ne nous avait pas gardés ensemble comme il l’avait promis. »
L’existence du jeune Erwin, en proie à une insécurité psychologique chronique, est une copie conforme de celle de son père : éphémère relations avec des femmes, deux filles vite abandonnées, empire croissant de l’alcool, escalade dans la délinquance.
Lorsqu’il arrive en prison, il ressent un sentiment contradictoire : la chape de plomb d’une condamnation à vie ; mais aussi un curieux sentiment de libération, celui d’échapper à un état de survie sans aucune perspective.
Il effectuera 20 ans de captivité, les dernières années en régime de semi-liberté. C’est en détention qu’il rencontrera régulièrement une psychologue, Joan Branton. Celle-ci l’invite à devenir l’homme qu’il aurait dû être si les circonstances de son enfance avaient été différentes. Elle le pousse à se décentrer. « Dans ma manière de penser criminelle alcoolique, j’étais devenu si égoïste et psychologiquement détaché des autres êtres humains. Même lorsque j’aimais, c’était seulement à mon profit, pour satisfaire mes besoins et ceux de nul autre. Je ne pouvais pas me rappeler d’une relation vraiment authentique. »
Peu à peu, elle le persuade de renoncer à la stratégie du déni, à reconnaître ses crimes et le mal fait aux victimes. « Je crois que nous devriez utiliser votre temps en prison pour faire le mieux que vous puissiez, disait-elle – et je voudrais que vous réfléchissiez à ceci : vous le devez à vos victimes. » Lors de son départ en retraite, elle lui laisse une carte avec cette phrase : « aujourd’hui est le premier jour du reste de votre vie. »
James Erwin étudie en prison, passe un diplôme universitaire de journalisme, rédige des chroniques qui sont publiées dans le quotidien national The Guardian. Lorsque, libéré, il se rend au siège du journal, il passe par un marché où, vingt ans auparavant, il passait la nuit dehors, dans des cartons laissés par les commerçants. « Je pouvais me voir me blottir dans des coins, traîner dans des niches, essayer de ne pas être remarqué et de simplement de poser ma tête hors du passage. Un clochard. Un clochard alcoolique sans espoir et sans vie. Un dangereux clochard alcoolique. »
Sa reconnaissance comme journaliste par l’administration pénitentiaire n’était pas allée de soi. Diplômé en journalisme d’accord, mais journaliste dans un quotidien réputé, il n’en était pas question. « On attend de nous qu’on vous donne une sorte de réhabilitation, mais quoi que ce soit qui ressemble à une faveur ou à un avantage du fait d’être en prison provoque l’hostilité des gens. Vous écrivez pour la presse nationale ? C’est probablement plus de réhabilitation que ce que certaines personnes peuvent digérer. (…) Mais l’idée de limiter la réhabilitation à un vague niveau qui éviterait que le public se sente offensé me semblait absurde. L’offense aurait dû viser le gaspillage de vie en prison, le gaspillage de temps et d’argent – la misère superflue infligée aux vulnérables et aux malades mentaux et l’absence de sens et de but qui conduit tellement de prisonniers libérés à créer de nouvelles victimes, à repasser devant le tribunal et de nouveau en prison, ce qui coûte une fortune à la société. »
Un mot de conclusion délivré par un codétenu d’Erwin : « J’ai été condamné à la prison à vie, donc je vais vivre. »