Temps mort

Dans « temps mort », la réalisatrice Ève Duchemin met en scène trois hommes détenus qui bénéficient d’une permission de sortie le temps d’un weekend.

Anthony (Karim Leklou), 40 ans, entend faire de ces deux journées de liberté une fête des retrouvailles familiales. On se retrouve en effet autour d’une table, mais son père (Johan Leysen) n’a pas le cœur à célébrer. Le passé, qu’on soupçonne pesant, le fige dans une distance glaciale.

Son ex-épouse a consenti à amener son fils d’une dizaine d’années. La relation ne fonctionne pas. Anthony ne parvient pas à se mettre au diapason, il impose au gamin la relation père-fils formatée dans sa propre tête. Tout explose lorsque, bouleversé par l’intensité de ces moments et blackboulé par l’alcool, il se trouve à court de tranquillisants. Une scène poignante le montre à la porte de la prison en pleine nuit, accompagné par sa mère (Blanka Ryslinkova), supplier qu’on le laisse rentrer.

En prison depuis vingt ans, Hamousin (Issaka Swadoso), 55 ans, est à quelques semaines de sa libération. L’objectif de la permission est de le tester dans un poste de veilleur de nuit. Son ex-épouse (Babetida Sadjo) le supplie de venir le lendemain célébrer l’anniversaire de sa plus jeune fille. Le déjeuner tourne court : usé par la détention, Hamousin est à court de mots, un phénomène que les visiteurs de prison connaissent bien.

À sa sortie de prison le samedi matin, Colin (Jakob Cousyns), 20 ans, est pris en charge par les copains. Voiture rutilante, argent facile, drogue. Il rend visite à sa mère et à sa sœur, furtivement. Il passe la nuit avec les copains, night-club, chambre d’hôtel avec une fille qu’ils ont mis dans son lit (Estelle Gonzalez Ardued). Ce qu’il cherche vraiment, c’est le pardon de sa mère (Hassiba Halabi). Il faudra pour cela du temps. Il ne rentrera probablement pas à la prison, sera considéré comme évadé, sa peine sera allongée.

Ève Duchemin avait réalisé plusieurs documentaires sur la prison, dont le remarquable « en bataille » consacré à une directrice d’établissement. « Temps mort » est une fiction, car il semblait impossible de capter, dans un format documentaire, le chaos émotionnel que représente la rencontre de  personnes que le temps et les outrages passés ont séparées.

Le titre du film « temps mort », est ambigu. N’est-ce pas plutôt le temps en détention qui est mort, vide de sens, comme le dit Karim Leklou dans une interview à France Culture ? Le temps est au cœur du projet d’Ève Duchemin : « en prison, ce rapport au temps hante tout le monde. Il est mouvant. Par exemple, quand on sait qu’on va être libéré, les secondes passent comme des mois. En écrivant, j’ai ressenti cela en suivant mes personnages et me fondant dans leurs corps. Car même à l’extérieur, la prison continuait de les poursuivre. Parfois, j’avais la sensation que tout allait très vite, que l’heure du retour approchait, ou, au contraire, que le temps se dilatait. »

Dans ce temps mou, la réalisatrice filme des corps. « Comment ces corps contrits, qui se retrouvent jetés dans la société pour quarante-huit heures, vont-ils se comporter ? », se demande-t-elle.

« Mes personnages portent la prison en eux et doivent lutter contre cette charge qui teinte le regard des autres. Le film pose ces questions : à partir de quand peut-on être affranchi de cette étiquette ? À partir de quand a-t-on fini de payer sa dette envers la société et peut-on réintégrer le monde des humains ? J’avais envie de regarder de près les déflagrations que cette incarcération fait sur les corps et les têtes. »

Le film d’Ève Duchemin est bouleversant. Il est porté par des acteurs formidables.

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