Le Barlavento (Côte au vent) est la partie centrale de l’Algarve, sur l’Atlantique au sud du Portugal.
Nous retrouvons des amis pour une semaine dans une grande maison proche du phare d’Alfanzina, situé à la moitié du sentier de randonnée des sept vallées suspendues, tracé au sommet des falaises calcaires qui bordent l’océan.
Non loin du phare, nous observons un « algar », puits vertigineux creusé par l’infiltration des eaux de pluie acide dans la roche calcaire jusqu’à rencontrer l’océan.
Le plaisir de la promenade est quelque peu terni par le vacarme incessant des embarcations qui portent les touristes de grotte en grotte. Un « promène-couillons », dit l’un des nôtres. Nous décidons néanmoins de nous laisser promener à notre tour le lendemain. À Portimaõ, nous embarquons sur une vedette rapide. Les 18 passagers sont installés sur deux séries de selles parallèles.
Une trentaine de kilomètres sont parcourus jusqu’à la grotte de Benagil. Tout devrait nous rebuter : la foule des vedettes rapides et des kayaks, le soi-disant bateau de pirates photographié par les gogos – nous inclus -, la quantité astronomique de combustible brûlé et de CO2 émis pour boucler la promenade en deux heures. Mais les falaises rougeoyantes sous le soleil matinal, les sombres cavernes où nichent des oiseaux, les îlots émergeant de l’océan offrent un spectacle unique, inoubliable.
Nous prolongeons le plaisir par une baignade sur la plage de Carvalho. Celle-ci est encaissée entre deux falaises. On y accède par un escalier bien aménagé et on y pénètre par un étroit tunnel de quelques dizaines de mètres creusé dans la roche. En ce mois de juin, l’eau est fraîche, mais y nager entre l’entrée d’une grotte et l’ombre d’un îlot procure un immense plaisir.
À proximité des plages de sable fin, à Portimaõ ou Albufeira, un urbanisme vertical sauvage a dévasté le paysage. À Albufeira, le centre-ville est occupé par une suite ininterrompue de restaurants et de discothèques, dans un brouhaha de musique et de hurlements. À cet urbanisme populaire s’oppose le continuum de maisons opulentes qui, enchâssées dans des jardins splendides, colonisent les collines. Le tourisme s’est emparé du Barlavento. Il y a une bonne raison à cela : cette région est bénie des dieux.
Merci pour ce rapide mais superbe voyage au Portugal….votre plume est superbe pour dire la beauté de ces lieux…mais en lisant votre texte je pense aux passagers du titan, à la recherche de sensations fortes…combien de vies faut il vivre donc pour se sentir heureux et plein du sentiment de vivre…combien de voyages, delectrochocs culturels, de sensations fortes…
Le migrant, le touriste et le pèlerin. (Martin Steffens, philosophe – La Croix du vendredi 23j juin 2023)
Par Martin Steffens Philosophe (1)
Tragique est l’agression d’Annecy. Tragiques aussi les réactions à chaud de nos femmes et hommes politiques. Il ne faudrait jamais rater une occasion de se taire. Puisqu’ils furent si nombreux à mettre l’accent sur le problème migratoire, il m’a toutefois semblé utile de compléter le tableau.
Car, dans cette affaire, il n’y a pas qu’un migrant. Il y a aussi, et cela m’a frappé, les deux autres figures de la mobilité que William Cavanaugh décrit dans Migrations du sacré. Il y a d’une part ces touristes néerlandais et britanniques, dont les enfants furent directement agressés et pour lesquels, si l’on reprend la formule d’un article du Monde, la carte postale s’est soudain déchirée. Il y a d’autre part un pèlerin, Henri, qui passait par là et arrêta l’agresseur dans sa course meurtrière.
Selon William Cavanaugh, migrant, touriste et pèlerin entretiennent des liens significatifs, propres à décrire notre mondialisation. Le migrant est comme possédé par sa mobilité : où qu’il soit, il n’est plus jamais chez lui. Le migrant (participe présent substantivé) n’est pas l’immigré (participe passé). S’il a bien traversé la frontière, celle-ci, parce qu’elle est désormais mobile, numérique et administrative, lui est comme restée collée à la peau. Il réside dans un pays sans que sa présence physique n’y déclenche aucun droit.
Le touriste, de son côté, n’est pas plus enraciné. Du reste cherche-t-il un certain dépaysement. Mais où qu’il aille, tout est arrangé pour que ce soit chez lui. Il aura le safari sans le risque d’être chargé par un éléphant, le Venezuela avec la climatisation, Paris vidé de ses mendiants en vue des JO 2024. Comme le migrant, le touriste fuit, mais c’est une routine dont il peut, en payant, garder le confort.
Sur certaines îles grecques, dans des hôtels de luxe où les petites mains anonymes ne manquent pas, les touristes et les migrants se croisent sans se rencontrer. Où donc se situe le pèlerin ? Selon Cavanaugh, il se distingue du touriste en ce qu’il cherche, non le dépaysement, mais le retour au centre de sa vie spirituelle. Aussi, quand le touriste regrette la présence d’autres touristes, parce qu’ils le privent de l’exotisme recherché, le pèlerin se réjouit de la communion, nombreuse, avec ses frères. Bien sûr, précise le théologien américain, ces distinctions ont quelque chose de général. Le tourisme religieux, par exemple, existe aussi. Ce qui importe, c’est l’enseignement qu’on en peut tirer à propos de l’Église nommée « pèlerine » ou « pérégrine ». Le latin peregrinus rapproche, par ses connotations, le chrétien du migrant. La lettre à Diognète (IIe siècle) décrit ainsi la condition du chrétien : « Toute terre étrangère lui est une patrie, et toute patrie, une terre étrangère. »
L’équilibre est intéressant : contre un cosmopolitisme qui ne profite en réalité qu’aux plus fortunés et dont les récentes crises ont révélé l’hypocrisie, on rappellera les vertus de l’enracinement. William Cavanaugh remarque en effet que, si le Moyen Âge connut une floraison de pèlerinages, ce fut grâce aux points fixes qu’étaient les monastères.
Mais contre un enracinement fantasmé et idolâtre, il faut rappeler que l’heureuse mobilité des pèlerins tenait d’abord à ce que ces points fixes pratiquaient, selon l’esprit de l’Évangile ou la Règle de saint Benoît, l’hospitalité. L’enjeu serait, grâce à celle-ci, d’ajouter à nos mobilités contemporaines l’humanité et la profondeur dont elles sont actuellement dépourvues.