Dans « Ici et ailleurs », Florence Aubenas rassemble des articles parus dans Le Monde entre 2015 et 2022.
L’actualité dont elle traite a été extraordinairement chargée. En regardant ces années, on a le sentiment d’aller de crise en crise : les attentats islamistes (2015), les Gilets jaunes (2017), les confinements (2020), la guerre d’Ukraine (2022). Si le livre avait été publié quelques mois plus tard, on y aurait aussi trouvé la révolte contre la réforme des retraites et les émeutes urbaines consécutives à la mort de Nahel.
C’est donc de la grande histoire que traite Florence Aubenas. Mais elle le fait avec un parti-pris de terrain. Elle va à la rencontre de l’ordinaire, comme l’a écrit un commentateur.
La crise des Gilets jaunes est vue depuis un rond-point de Marmande, un vendredi glacial de décembre. Coralie, qui se définit elle-même comme un cas social, assure des permanences. « Le soir, en rentrant, Coralie n’a plus envie de parler que de ça. Son mari trouve qu’elle l’aime moins. Un soir, ils ont invité les fidèles du rond-point. Ils n’avaient jamais reçu personne à la maison, sauf la famille bien sûr. « Tu l’as, ton nouveau départ. Tu es forte », a glissé son mari.
Pour évoquer l’impasse de l’agriculture industrielle, Florence Aubenas raconte l’histoire de Jérôme Laronze, éleveur bio dans le Charolais, une forte personnalité. Son exploitation est l’objet d’enquêtes répétées des autorités chargées de vérifier sa conformité aux normes de la politique commune agricole européenne. Il perd les pédales, néglige ses bêtes, s’enfuit, est tué en mai 2017 dans une opération de gendarmes.
La guerre d’Ukraine elle-même est décrite par petites touches, sur le terrain, auprès des civils et des combattants. Un chapitre intitulé « les naufragés du métro » est ainsi présenté : « En Ukraine, plus de 100 000 habitants de Kharkiv, deuxième ville du pays, ont vécu sous terre pendant des mois, transformant les stations de métro en une cité troglodyte. Traumatisés, certains refusent de la quitter ».
« Les majestueuses stations de Kharkiv se transforment en une cité troglodyte, traversée d’étroites ruelles. Au hasard des aides distribuées, certains ont monté des tentes, d’autres des lits superposés ou de simples matelas. Des cartons s’empilent en guise de petites armoires. Quelquefois, des tissus tendus esquissent un semblant d’intimité. Le linge sèche sur les appareils à tickets, les portillons sont devenus des étagères collectives pour les produits d’entretien. »
Le titre « ici et ailleurs » renvoie à la notion de territoire. C’est bien ce que Florence Aubenas réussit magistralement : éclairer l’actualité par le vécu de ceux qui vivent là, au plus près de ce qu’ils ressentent, au plus près de leurs propres mots.