Assister à un concert de musique classique dans un château du vignoble bordelais révèle un abîme entre ce moment de perfection et le chaos de la vie ordinaire.
Dans le cadre du festival Estivales de Musique en Médoc, nous assistons à un concert au château Malleret. Trois frères, Edgar, David et Jérémie Moreau, sont au violoncelle, au violon et au piano. Le plus jeune a 25 ans.
Ils jouent des trios de Felix Mendelssohn et Piotr Tchaïkovski. Les instruments se répondent l’un à l’autre selon une arithmétique rigoureuse, rythme, tonalité. Une puissante émotion se dégage de leur interprétation.
Le concert se déroule dans un chai du château de Malleret, dans le Haut-Médoc, redessiné il y a quelques années par l’architecte Sylvain Dubuisson. La charpente en bois a été pensée pour réduire la consommation d’énergie. Elle se révèle aussi une efficace caisse acoustique.
L’organisation du festival, prise en main par des bénévoles, est impeccable. Les spectateurs sont invités après le concert à une dégustation du vin du château sur la pelouse fraichement tondue bordée d’arbres centenaires. Tout tend à la perfection : les musiciens virtuoses, leurs partitions, l’architecture, le vin.
Le premier concert de la saison d’Estivales de Musique en Médoc a été donné au centre pénitentiaire de Bordeaux Gradignan. Une mise en abîme. La perfection de la musique, son organisation mathématique, son inspiration sublime ; le chaos carcéral, la violence latente, la surpopulation, les burn-out du personnel. On se débrouille en prison le mieux qu’on peut avec ce qu’on a.
La prison extrapole la pesanteur de nos vies ordinaires. Confronté à la perfection de la musique, on pourrait se décourager, se dire qu’on n’y arrivera jamais, qu’on est voué à la médiocrité. On peut aussi se sentir stimulé : le pur bonheur est atteignable, à force de volonté, par l’adhésion partagée à ce qui est beau.