« Le Dieu noir et le diable blond », film réalisé en 1964 par le Brésilien Glauber Rocha, a été récemment restauré et sort en salles en France.
Le titre en portugais est « Deus e o Diabo na terra do Sol », Dieu et Diable dans la terre du Soleil. Il rend mieux compte de l’intention du film, qui n’est pas construit sur l’opposition des races (noir / blond) mais sur un territoire brûlé par le soleil, le Sertão, immense région aride du nord-est du Brésil.
Manuel (Geraldo del Rey) et son épouse Rosa (Yoná Magalães) vivent dans le dénuement. Manuel garde des vaches pour un propriétaire terrien. Lorsque plusieurs bêtes meurent d’avoir bu de l’eau souillée, il cherche un arrangement avec celui-ci, qui s’entête dans son refus : « j’ai le droit pour moi ». Manuel tue le propriétaire. Il s’enfuit avec Rosa.
Ils rejoignent les centaines de dévots qui, au sommet d’une colline parcourue par un chemin de croix, écoutent fascinés la prédication de Sebastião, un géant noir habillé de bure. Celui-ci s’inspire de Saint Sébastien pour son exaltation de la souffrance – qui fait écho à la souffrance quotidienne des paysans – et de Moïse pour son projet de réunifier le désert et la mer, ouvrant ainsi une terre d’abondance.
Les prêtres paient un tueur à gages, Antonio das Mortes (Mauricio do Valle) pour éliminer Sebastião, qu’ils voient comme un danger pour les propriétaires et pour l’Église. Mais Rosa, horrifiée par le sacrifice rituel opéré par Sebastião sur un nourrisson pour laver les péchés du monde, tue elle-même l’illuminé.
C’est alors au service d’un bandit sans foi ni loi, Corisco (Othon Bastos), que s’engage Manuel. L’homme est obsédé par la mort, celle qu’il inflige aux traîtres et celle qu’il s’apprête à subir glorieusement. Manuel doit choisir entre l’accompagner dans sa fin, ou s’enfuir. Pour une fois, il laisse Rosa choisir.
Le film de Glauber Rocha m’a profondément troublé. Réalisé en noir en blanc, il est d’une beauté à couper le souffle, tant dans la composition des paysages que dans l’intimité des visages. La musique, composée par Sérgio Ricardo, est omniprésente, lancinante, envoûtante. Mais je suis dérangé par l’omniprésence de la violence, celle qu’infligent les puissants, celle que manipulent Sebastião et Corisco (« Dieu » et « Diable ») et celle qui s’impose, en fin de compte, aux pauvres pour renverser leur sort.
Je suis aussi dérangé par l’opposition radicale des rôles masculins et féminins. Les hommes vont de l’avant, s’enflamment, dominent, écrasent. Les femmes suivent et souffrent. Certes, Rosa assassine Sebastião, certes elle aura finalement le dernier mot face à Corisco, mais dans sa fuite finale avec Manuel, lorsque dans leur course effrénée elle tombe, il ne se retourne pas pour lui donner de l’aide.
J’ai été déstabilisé par ce film. Peut-être était-ce l’objectif recherché par le réalisateur, décédé au Brésil en1981 à l’âge de 42 ans, après des années d’exil en Europe ?