« The Old Oak », film du réalisateur Ken Loach et du scénariste Paul Laverty, emmène le spectateur dans un village côtier du comté de Durham, au nord de l’Angleterre.
Le village était autrefois au cœur d’un bassin minier, vivant, actif, vibrant des luttes ouvrières. Depuis la fermeture des mines, il s’est comme vidé de sa substance. Les maisons sont achetées par des agences immobilières de Chypre, qui les louent à des miséreux et ne se soucient pas de les entretenir. Tout part à vau-l’eau.
Le pub, The Old Oak (le vieux chêne) reste le seul lieu où l’on puisse maintenir un semblant de vie sociale. Il a été amputé d’une salle, faute de clients et de moyens pour la maintenir en état. T.J. Ballantyne (Dave Turner), le propriétaire, se désole des propos xénophobes des habitués.
Il faut dire que le gouvernement a relogé dans le village des familles de réfugiés syriens : l’immobilier ne coûte pas cher, on est loin des caméras de télévision. Au pub, le vieux Charlie (Trevor Fox) et ses amis expriment leur colère, leur désarroi, leur sentiment de déclassement. Une force du film de Ken Loach consiste à leur laisser longuement la parole. Tout est fait pour eux, et nous, on nous méprise. Même le pub ne nous appartient plus, nous ne sommes plus chez nous. La misère rôde. Dans les familles, il arrive qu’on déjeune d’un demi paquet de chips.
Une jeune femme syrienne émerge du lot : Yara (Ebla Mari). Elle a appris l’anglais dans les camps de réfugiés. Elle s’est aussi passionnée pour la photo qui, dit-elle, lui permet de sélectionner ce qu’elle veut voir et d’écarter ce qui est moche et insoutenable. Une amitié se noue entre T.J. et Yara. Avec l’aide de Laura (Clare Rodgerson), l’assistante sociale, ils entreprennent de ranimer The Old Oak en y organisant plusieurs fois par semaine des repas solidaires, qui permettront au moins aux enfants du village de manger à leur faim.
Les habitués du pub, se sentant humiliés par cette réussite que des étrangers ont menée à bien alors qu’ils sont restés impuissants devant la dégringolade de leur communauté, ont juré la perte de la cantine communautaire. J.T. Ballantyne a des pulsions suicidaires. La famille de Yara est accablée par le deuil du père, assassiné par les sbires du régime syrien.
Le film de Ken Loach porte pourtant un message d’espoir. Sous la pression de la misère et du désespoir, la pente naturelle pour retrouver l’estime de soi est de piétiner ceux qui sont encore plus bas dans l’échelle sociale. La petite chienne de T.J. est massacrée par les pit-bulls d’une bande de skinheads. T J., Yara et Laura nagent à contrecourant. Dans le pub « The Old Oak » s’esquisse grâce à eux une sortie par le haut, par la solidarité.
Les dernières scènes du film sont bouleversantes. L’aventure de The Old Oak a tissé au sein du village, et entre communautés, des liens qu’on n’espérait pas. Le film de Ken Loach est un porté par des comédiens lumineux, Dave Turner, Ebla Mari, Clare Rodgerson. C’est revigoré qu’on sort de la projection.
Pour démentir le propos de Louis-Ferdinand Céline :
« Les pauvres ne se demandent jamais, ou quasiment jamais, pourquoi ils doivent endurer tout ce qu’ils endurent. Ils se détestent les uns les autres, et en restent là. »