Le sas

Dans le cadre des Journées Nationales Prison, dont le thème cette année est « sortir de prison, comment réussir l’après ? », le groupe local de concertation prison de Bordeaux a organisé une représentation de la pièce « Le sas », écrite en  1986 par Michel Azama, mise en scène par Guy Calice et jouée par Juliette Bridier.

Cent cinquante spectateurs y ont assisté dans la magnifique Maison Cantonale construite vers 1925 dans le style Art Nouveau pour accompagner le développement du quartier de la Bastide, sur la rive droite de la Garonne.

Le texte est un monologue, celui d’une femme de 49 ans la veille de sa libération après 16 ans de réclusion. On vient de lui annoncer le décès de sa mère, la seule personne de sa famille qui lui soit restée proche après le crime et le procès. Elle ne veut pas inaugurer sa vie libre par un enterrement. Elle ne participera pas aux obsèques de sa mère. La directrice de la prison s’en indigne. Depuis 16 ans, on explique à la détenue ce qu’elle doit faire, comment elle doit se comporter, comment elle doit mener sa vie.

Représentation de Le Sas à la Maison Communale de Bordeaux

La prisonnière, à quelques heures de sa libération, se souvient de son procès. Son avocat lui avait prédit une peine de dix ans de réclusion. Elle s’étonne d’en avoir pris pour vingt ans. L’avocat l’invite à se réjouir, elle risquait la perpétuité.

Elle se rappelle son arrivée à la prison, son affectation au groupe 3, celui des obèses. « Si vous ne l’êtes pas, de toutes manières vous le deviendrez rapidement ! »

La détenue est anxieuse. Comment va se passer la relation avec ses deux fils ? Le cadet avait trois ans quand elle avait été incarcérée. Au parloir, il avait été pris d’une crise de nerfs, avait hurlé qu’il voulait partir avec elle. Il va maintenant faire son service militaire. « Ne vous attendez pas à ce qu’il vous attende », dit un agent pénitentiaire entre réalisme et sadisme.

« Le sas » est une pièce sombre, sans aucun rayon de lumière à l’exception peut-être de ce moment où, sur le point de quitter la prison, la détenue dit son affection à des camarades d’infortune, à qui elle lègue des objets personnels. Mais elle associe ce dépouillement à un rite funéraire…

Débat après la représentation ; la comédienne Juliette Bridier (au centre), le metteur en scène Guy Calice (à droite)

Michel Azama a écrit cette pièce il y a près de quarante ans, après un atelier d’écriture avec des femmes recluses au centre de détention de Rennes. Beaucoup de phrases prononcées par la comédienne sont des verbatims issus de l’atelier. L’auteur présente les surveillantes, les « matonnes », comme distantes, méprisantes, presque perverses. L’état d’esprit a changé en profondeur. Le comportement de beaucoup de surveillantes d’aujourd’hui est empreint d’empathie et de respect.

La détenue du « sas » semble être jetée à la rue sans préparation. Où va-t-elle se loger ? Trouvera-t-elle un travail ? Les soins commencés en prison pourront-ils être continués ? Ses papiers sont-ils à jour, disposera-t-elle d’un compte bancaire ? La pièce n’évoque pas l’action des conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation pour rendre moins problématique le retour à la vie libre.

Quarante ans après, c’est la profondeur de l’approche psychologique qui frappe dans « Le sas ». C’est un corps de femme qui se trouve dans cette cellule, sur la scène. Un corps torturé par la stupeur de constater l’arrêt des règles, un corps qui n’ose plus se regarder dans le miroir, tant vieillir fait mal. L’interprétation par Juliette Bridier est bouleversante.

La Maison cantonale de Bordeaux Bastide

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