Les conditions idéales

Le prix Goncourt des détenus a été attribué cette année à « Les conditions idéales », premier roman de Mokhtar Amoudi, édité par Gallimard.

Le livre est écrit à la première personne par Skander, qui raconte sa vie depuis qu’il a été placé par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) dans une famille d’accueil à l’âge de 2 ou 3 ans. Sa mère, Nora, est d’origine algérienne. Elle souffre de problèmes psychiatriques et a été placée sous tutelle.

Initialement accueilli dans une famille française, il doit la quitter vers l’âge de dix ans comme Jessica, « sa sœur d’abandon ». Il est confié à une Marocaine, Madame Khadija, selon les souhaits de sa mère qu’il vive selon sa culture d’origine.  Il devra « s’acculturer ».

Petit enfant, Skander était un passionné de lecture, un fanatique du Larousse, dans lequel on trouvait le monde entier expliqué, le premier de sa classe.

Il vit maintenant dans le Grand Quartier de Courseine, une ville du Val de Marne. Son acculturation inclut aussi la haine des habitants du quartier voisin, les Collines Noires. « Ils se haïssaient tellement que leur objectif mutuel et perpétuel consistait à s’entretuer dès qu’ils se rencontraient. » Il y a aussi l’apprentissage des petits trafics, et au bout de compte l’appât du gain facile, le trafic de drogue. Les notes de Skander au lycée Thiers deviennent désastreuses. Il est repéré comme un meneur, convoqué au tribunal comme trafiquant.

Dans le roman de Mokhtar Amoudi, les responsables de l’ASE sont bienveillants et compétents. « Madame Davert, je lui aurais bien donné une médaille pour son travail. Elle me présenta une travailleuse sociale, moitié psychologue, moitié conseillère d’orientation (…) J’ai aussi raconté mes angoisses. Elle me comprenait parfaitement. « Ça va aller, j’en suis sûre », qu’elle me répétait. Parler comme ça, je ne l’avais jamais fait. Quand on vous écoute, l’envie de tout dire devient plus forte que tout. En abordant la question de mon jugement, j’ai pu enfin lui avouer que je n’avais jamais voulu ça, que c’était du théâtre, un théâtre qu’il fallait que je quitte. À chaque confession, son visage approuvait. « J’ai tué ma mère. » Même ça, elle l’aurait noté sans broncher, ni me dénoncer. »

Grigny la Grande Borne

On parle beaucoup de prison dans ce livre, en particulier de Fleury, « du gris et du marron, moins de couleurs que l’enfer. » La mère de Skander y fait un séjour. Libérée, « elle arriva dans la pénombre de l’entrée, sans que je me rende compte des détails. Lorsque nous la vîmes au bout de la table, à la lumière du jour, celle qu’elle n’avait pas dû beaucoup voir dans sa cellule, on a constaté les stigmates de la prison. On ne s’est rien dit pendant des secondes, si lourdes de silence et de la honte qu’on avait tous. Fleury me l’avait rendue effrayante. »

Les portraits de personnes sont présentés dans leur profondeur. Mme Khadija est une mégère soucieuse avant tout de sa propre personne. « C’est dommage que tu ne m’aimes pas, dit-elle à Skander. Je suis comme ta mère ; tu sais. Sans moi, tu serais où, d’abord ? Dans un vrai foyer avec des fous et des ânes. » C’est vrai que j’aurais pu l’aimer, dit Skander lorsqu’il prend sont indépendance.

La mère de Skander est une alcoolique au dernier degré de la déchéance, mais son fils continue à la rencontrer malgré tout. Un voyage en Algérie auprès de sa famille et de sa fille (la sœur donc de Skander) lui redonne confiance en elle. Le livre d’Amoudi est résolument optimiste. Certes, l’échec d’une vie est probable, telle celle de Julien, un ami de Skander, mort pour avoir avalé des gélules de cocaïne qui ont éclaté dans son estomac. Mais, grâce aux responsables de l’ASE qui lui ont fait confiance malgré tout, Skander saura rebondir.

Mokhtar Amoudi lors de la remise du Goncourt des détenus

C’était la seconde édition du Goncourt des détenus, auquel ont participé près de 600 personnes détenues au sein de 40 établissements pénitentiaires. Le lauréat, Mokhtar Amoudi, est né en 1988. Son écriture est subtile, traitant de réalités violentes avec un humour noir qui crée une juste distance et évite le pathos. Voici, pour illustrer ce style particulier, ce qu’observe Skander au tribunal de Créteil, où se déroule une comparution immédiate. « On arrivait à la fin d’un procès, une femme annonçait la sentence à l’accusé. Du fond de la salle, on pouvait voir les taches sur ses vêtements, presque les poux de ses cheveux. Les gendarmes à ses côtés restaient stoïques. Maître Ensard me chuchota qu’il arrivait forcément du dépôt, la prison du tribunal. Après une longue garde à vue, on emmène les malfrats dans ce sous-sol de crasse pour les préparer à quitter la société. Clochard ou pas, le type a pris deux ans. On ne saura jamais pourquoi. Ça allait vite, les comparutions immédiates, sorte de jeu de massacre dont personne ne regretterait les participants. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *