Avec « Pauvres créatures », le réalisateur Yórgos Lánthimos propose une hallucinante création cinématographique.
À Glasgow vers 1880, un médecin chercheur prêt à tout pour des expériences scientifiques parvient à réanimer une jeune femme qui s’est suicidée en se jetant d’un pont. Il substitue à son cerveau celui de la petite fille qu’elle portait. Le docteur Godwin Baxter (Willem Dafoe) devient ainsi « père » de la jeune femme qu’il baptise Bella (Emma Stone). Il sera son Dieu, God pour Godwin.
Bella a donc un cerveau de bébé dans un corps de femme. Elle apprend à marcher en se servant de jambes déjà formées. Comme un bébé, elle veut tout, tout de suite. Elle ignore les conventions et n’hésite pas à recracher la nourriture qui ne lui plait pas.
Très vite, une chose lui plaît par-dessus tout : le sexe. Le Docteur Baxter entend la marier avec son assistant, Max McCandless (Ramy Youssef), à condition qu’elle reste recluse dans la maison, à l’abri des dangers du monde extérieur. Mais Bella ne l’entend pas de cette oreille.
L’occasion de s’évader lui est fournie par Duncan Wedderburn (Mark Buffalo), un dragueur impénitent qui l’emmène en voyage. À Lisbonne, un Lisbonne dont les tramways sont des aéronefs, elle s’émeut du Fado et fait l’amour de manière sauvage avec son amant jusqu’à découvrir que même les hommes ont des limites.
Les amants voyagent à bord d’un paquebot, une sorte de palais flottant « Art Nouveau ». Dans une scène irrésistible de drôlerie, elle enfreint les règles de politesse et dit ses quatre vérités lors d’un dîner mondain.
À Alexandrie, elle est émue par la détresse d’un bidonville situé dans un ravin au pied du palace où ils résident. Elle n’hésite pas à détrousser son amant pour distribuer ses billets de banque.
À Paris, pour survivre elle s’adonne à la prostitution. Pour connaître le monde, lui dit Swiney (Kathryn Hunter), la mère maquerelle, il faut traverser le mal. Bella s’y adonne de tout son corps. Elle se lie avec Toinette (Suzy Bemba), une autre pensionnaire de la maison close. Elle découvre avec elle la solidarité féminine face à un monde d’hommes arrogants et brutaux.
De retour en Angleterre, Bella est confrontée à sa promesse de mariage avec Max et la fin de vie de God. Mais un passé lointain resurgit de manière imprévue.
« Pauvres créatures » est un film qui plonge le spectateur dans un univers onirique. Les décors ne sont pas des accessoires, ils produisent à la fois un raccordement à l’histoire de l’Angleterre victorienne et un décrochage dans un rêve débridé. La caméra regarde souvent comme un œil de poisson (fisheye), tordant les lignes droites jusqu’à les ramener au cercle.
Ce film nous projette dans un ailleurs spatial et temporel. Il a été récompensé par le Lion d’or au Festival de Venise 2023. C’est mérité : il propose une expérience que seul le cinéma peut offrir. Le réalisateur Yórgos Lánthimos souligne aussi que c’est un film politique, résolument engagé dans le combat féministe.