À l’occasion de ma visite de la Bourse de Commerce à Paris, transformée par l’architecte japonais Tadao Ando, j’ai acquis son livre intitulé « du béton et d’autres secrets de l’architecture » (l’Arche 2007).
Il s’agit d’une série de sept interviews de l’architecte, entre 1998 et 2002, alors qu’il réalisait au Texas le musée d’art moderne de Fort Worth. L’intervieweur était Michael Auping, qui allait exercer la fonction de conservateur de ce musée pendant de longues années. Le livre fut d’abord publié en anglais aux États-Unis en 2002. Il est parsemé de dessins qu’Ando, au fil des conversations, réalisait pour mieux exprimer ses idées.
En introduction du livre se trouve cette courte présentation. « Qui connaît Tadao Ando ? Qui sait qu’il a commencé à construire à l’âge de quatorze ans ? Pour agrandir un peu la maison de sa grand-mère, une petite commerçante du centre-ville d’Osaka. Qu’il a fait le voyage au début des années soixante, d’abord par bateau puis le Transsibérien pour venir à Paris et rendre visite à Le Corbusier, au sujet duquel il avait trouvé chez des bouquinistes un livre qui le fascinait. Quand il arrive, Le Corbusier vient de mourir. Il visite ses constructions (…) Ando est fasciné. Le béton, et tout ce qui lui est lié, ne le quittera plus. »
Tadao Ando est né en 1941. Son apprentissage de l’architecture s’est fait en travaillant aux côtés d’ouvriers et d’artisans venus rénover sa maison, et dont il s’était attiré la confiance. « Travailler avec vos mains et vos muscles, c’est très important, » dit-il. Jeune homme, il a aussi pratiqué la boxe à un haut niveau. « L’architecture est le domaine de la création, et la boxe, le domaine du purement physique. La seule chose que je peux dire, c’est que dans la boxe il faut être courageux et prendre des risques, toujours faire un pas de plus en direction de l’adversaire. (…) Créer quelque chose en architecture – pas seulement construire mais créer quelque chose – demande aussi du courage et des prises de risque, il faut s’aventurer dans des domaines relativement inconnus, faire ce pas de plus. »
« L’architecture, dit Ando, a toujours été une question de frontières ; construire des frontières pour protéger, et les ouvrir, ensuite, pour le mouvement. » Beaucoup de ses créations sont des églises ou des musées. L’architecte doit « faire en sorte que les gens se sentent suffisamment en sécurité dans leur environnement, et favoriser du même coup les déambulations à l’intérieur d’eux-mêmes. » Une maison, dit-il, « sert un but à la fois physique et spirituel, et je considère que l’obscurité y joue un rôle très important (…) L’ombre et l’obscurité contribuent à la sérénité et au calme. Je pense que l’obscurité offre la possibilité de réfléchir et de contempler. »
Les constructions de Tadao Ando utilisent beaucoup le béton, comme celles de son maître Le Corbusier. « Je fais partie de ces architectes qui utilisent le béton à cause de la liberté qu’il nous accorde. J’aime le béton car je peux inventer des formes, ce qui me permet de créer de nouveaux types d’espace. » « Je vois le béton comme un matériau très dur, tranchant. J’aime les bords aiguisés et les surfaces planes qu’on peut construire avec le béton. Quand elles entrent en contact avec la nature, elles deviennent comme des feuilles d’aluminium, elles ont une présence très forte (…) Le béton peut varier énormément. Il est doté d’une profondeur expressive qui change à chaque utilisation. »
Tadao Ando a construit sur divers continents. À la Bourse de Commerce de Paris comme à la pointe de la Dogana à Venise, Il s’est confronté à une culture européenne qui n’est pas la sienne, au défi de concevoir du neuf comme émergent du passé. La conclusion du livre évoque ce dialogue des civilisations au-delà des âges : « en tant qu’architecte, c’est tout ce que je peux faire – créer un dialogue entre différentes cultures, histoires et valeurs. Nous pouvons apprendre tant de choses des autres et de leur passé. »