L’imam Mahjoub Mahjoubi a été expulsé le 22 février au soir, moins de douze heures après son interpellation « sur instruction » du ministre de l’intérieur Gérald Darmanin. La nature administrative et non judiciaire de la procédure, la précipitation dans sa mise en œuvre, rappellent le décret-loi du 2 mai 1938 organisant le statut des étrangers indésirables.
L’assassinat en prison d’Alexeï Navalny ou l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian auraient pu figurer en couverture du numéro du 22 février de Paris-Match. C’est une photo de Gérald Darmanin, souriant, à son bureau accompagné de ses enfants, que le magazine désormais contrôlé par Vincent Bolloré que consacre sa « une ».
Le ministre de l’Intérieur aura eu un autre motif de satisfaction : l’expulsion-flash de l’imam de la mosquée Attawba de Bagnols-sur-Cèze dans le Gard. Il y a vu une démonstration de l’utilité de la loi « immigration », sans laquelle une expulsion aussi rapide n’aurait pas été possible. Il affirme que cette loi « rend la France plus forte. »
Le Monde souligne que, « installé en France depuis les années 1980, l’imam Mahjoubi disposait d’une carte de séjour valable jusqu’en 2029. Il est marié à une femme française et père de quatre enfants ayant la nationalité française, ce qui aurait dû lui valoir, avant la nouvelle loi, la « protection quasi absolue » contre une expulsion immédiate. »
C’est l’absence de contrôle de l’autorité judiciaire qui frappe dans cette affaire. L’imam préparait-il un attentat ? Violait-il de manière délibérée et particulièrement grave les principes de la République ?
Le 2 mai 1938, face à l’afflux des réfugiés républicains d’Espagne et à la menace de guerre avec l’Allemagne, le ministre de l’Intérieur Albert Sarraut publia un décret-loi qui instaurait un régime de surveillance pour les étrangers « bienvenus » et d’exclusion pour les « indésirables ». C’est l’autorité administrative et non le juge qui décidait de la qualification de bienvenu ou d’indésirable d’un étranger. Le décret-loi permettait l’internement administratif des indésirables qui ne pouvaient être renvoyés dans leur pays d’origine. On sait l’usage que le régime de Vichy fit de cette législation de la troisième République. « Transhumances » a évoqué cette question dans un article consacré au camp d’internement de Mérignac.
Une autre disposition de la loi « immigration » réduit le pouvoir du juge. Elle prévoit en effet que l’autorité administrative peut expulser des personnes condamnées pour des crimes ou des délits punis de plus de cinq ans de prison, ou trois ans en récidive. Ce n’est pas la condamnation effective des personnes qui est prise en compte. Le juge intègre, dans sa prise de décision, des situations particulières, des circonstances atténuantes. La double peine – incarcération + expulsion – est désormais infligée quelle que soit la décision du juge.
Le ministre de l’Intérieur se réjouit. Le citoyen que je suis est préoccupé et attristé.