« C’è ancora domani » (il reste encore demain), premier film de l’humoriste et actrice italienne Paola Cortellisi, a dépassé les cinq millions d’entrées en Italie.
Une partie de ce succès tient à sa dénonciation de l’oppression des femmes et du patriarcat. L’Italie a été bouleversée par le féminicide de Giulia Cecchettin, une étudiante de 22 ans, perpétré par son petit ami le 11 novembre 2023. Des enseignants ont emmené des classes entières voir le film. Le succès tient surtout à ses qualités, héritier direct du néo-réalisme italien mais capable de mêler les genres avec une insolente créativité.
En 1946, Rome se relève à grand peine de la guerre perdue par le régime fasciste. Des soldats américains patrouillent ; l’alimentation est encore rationnée. Delia (incarnée par Paola Cortellisi, la réalisatrice elle-même) est la femme d’un ouvrier, Ivano (Valerio Mastrandea), un homme brutal qui applique le fameux dicton : « bats ta femme chaque matin, si tu ne sais pas pourquoi, elle le sait ! » Le couple a trois enfants, une fille, Marcella (Valeria Maggiora Vergano), en âge de se marier et deux garnements, Giulio et Alvaro, qui profèrent à longueur de journée les jurons appris de leur père et de leur grand-père (entre autres, « fils de pute ! »). Car le père d’Ivano, Ottorino (Girogio Colangeli) est aussi à la charge de Delia, avec la même exigence impatiente que son fils.
Femme battue, Delia ne se plaint jamais, fait face avec dignité, effectue sans broncher les tâches du ménage et passe sa journée à courir de petits boulots en petits boulots. Le travail à l’extérieur rend sa vie moins insupportable. Elle y rencontre d’autres femmes, se sent moins seule, engage une vraie amitié avec Marisa (Emanuela Fanelli), une vendeuse de légumes sur le marché.
Sur son chemin, elle rencontre Nino (Vinicio Marchioni), un amour de jeunesse qui lui offre de fuir ensemble dans le nord, Elle croise aussi William (Yonv Joseph), un policier militaire américain qui lui offre des chocolats mais ne parle pas un mot d’italien.
Marcella reproche à sa mère de ne pas se rebeller contre l’oppression conjointe de son mari et de son beau-père. Mais lorsqu’un jeune homme la courtise et qu’Ivano pousse au mariage car la famille du garçon est fortunée, elle flaire le piège : Marcella se prépare à vivre le même enfer qu’elle-même.
Pour la première fois de sa vie, Delia reçoit une lettre à son nom. Quelque chose de décisif doit se passer dimanche. Rien ne se passe comme prévu. Il reste, heureusement, le lundi.
« C’è ancora domani » renvoie clairement au cinéma néoréaliste de la grande époque du cinéma italien, avec la vie dans un quartier de Rome filmée en noir et blanc. Il y a des moments de franche hilarité, comme la scène du déjeuner de fiançailles, drôle mais aussi glaçante, où s’étale l’hypocrisie de deux familles qui n’ont rien à faire ensemble. D’autres moments sont d’une haute intensité dramatique, mais traités d’une manière volontairement décalée : la violence conjugale est ainsi exprimée sous la forme d’une chorégraphie, un tango unissant et séparant brutalement l’homme et la femme, comme dans une cérémonie rituelle.
La musique joue un rôle important dans le film. Certaines chansons sont résolument modernes, ajoutant à l’effet de décalage qui déstabilise le spectateur, le rendant disponible pour un dénouement imprévu. L’usage de l’humour et de la dérision, pour évoquer une horreur indicible, rappelle « la vita è bella » de Roberto Benigni : chez Benigni, les camps nazis, chez Cortellisi, l’oppression des femmes.
On passe un excellent moment, sans cesse du rire aux larmes, avec comme trame une conviction : le patriarcat a la vie dure, mais « domani », « demain » la violence des hommes ne fera plus la loi.