Dans « Comment ça va pas ? Conversations après le 7 octobre » Delphine Horvilleur, rabbin de l’association Judaïsme en mouvement, explique comment depuis le massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, elle a vu son monde s’effondrer.
Deux fantômes viennent hanter ses souvenirs. Celui de son grand-père, agrégé de lettres classiques, « qui parlait de la France glorieuse et résistante et en offrait un récit de gratitude éternelle ». Celui de sa grand-mère, avec son lourd accent des Carpathes et le lourd silence de la Shoah qui avait englouti sa famille. Pour le grand-père, l’extermination appartenait au passé, les leçons de l’histoire avaient été apprises. Pour la grand-mère, la répétition des épreuves était une fatalité éternelle du peuple juif.
L’une des conversations de Delphine Horvilleur s’adresse à Claude François à propos de sa chanson « Et ça s’en va et ça revient c’est fait de tout petits riens ». Ainsi va l’antisémitisme. Il a partie liée avec le racisme – le juif au long nez et aux doigts crochus. Mais il est aussi une facette du complotisme. Les crises financières seraient dues à des spéculateurs juifs ; le covid, à une stratégie des laboratoires pharmaceutiques entre des mains juives, pour accroître chiffre d’affaires et profits.
L’autrice imagine une promotion pour ce produit miracle que serait l’antisémitisme. « Faire le choix de la haine des juifs, Mesdames et Messieurs, vous permettra de gagner, dans la transaction, un sacré schéma explicatif du monde. En haïssant les juifs, vous détiendrez une solution à tous les malheurs de la planète, ainsi qu’un détachant hyperefficace pour se débarrasser de toute responsabilité personnelle, et pour en charger un autre. »
Delphine Horvilleur s’intéresse aussi aux racines de la haine portée aux Juifs pendant des siècles par les chrétiens et aujourd’hui par de nombreux musulmans. Il n’est pas facile de ne pas être le premier, de se reconnaître en dette vis-à-vis de celui qui nous a précédés. La tentation est forte de considérer qu’on a fait table rase du passé et tout réinventé. « Le judaïsme aussi est en dette. Il est l’enfant de sa rencontre avec les Egyptiens, les Chaldéens, les Perses, les Sumériens et tant d’autres. Il porte la trace de leur influence. Mais quelle aubaine, tous ceux-là ont disparu, ou presque. Ils n’ont laissé que des vestiges, mais pas de peuples vivants, se revendiquant comme leurs descendants (…) C’est plus simple de faire face à l’origine quand ceux qui l’incarnent ont eu le bon goût de déguerpir. »
Delphine Horvilleur vomit les « mais » « qui piétinent les responsabilités des uns et des autres, qui assassinent notre humanité ». « Le 7 octobre furent commis des actes atroces MAIS… Des femmes juives ont été violées MAIS… Le sort des enfants de Gaza est terrible MAIS… Des innocents ont été utilisés comme boucliers humains MAIS… »
« Comment ça va pas » est un livre vibrant d’humanité, qui met à distance les préjugés idéologiques et les absolus religieux pour regarder la souffrance des uns ET des autres.
Importance des conjonctions de coordination :
et, ou, ni, mais, car, or, donc.
C’est notre souffrance ou c’est leur souffrance – (l’alternative)
C’est notre souffrance et c’est leur souffrance – (la conjonction)
Une coordination efficace peut passer par ceux qui – chez eux et chez nous – choisissent la conjonction,
car la conjonction invite à être humain plus qu’humain.
Or être humain plus qu’humain n’est pas donné à tout le monde et tout le temps.
Donc l’alternative a encore de beaux jours devant elle !
Mais je ne désespère pas.
Grâce à Delphine Horvilleur, je prends conscience de « Comment ça va pas ? ».
Il me semble en effet difficile de n’être ni dans l’alternative ni dans la conjonction !