Une affaire très française

Dans « une affaire très française » (Albin Michel 2024), Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld racontent l’histoire secrète d’une chute vertigineuse, celle de Gérard Depardieu, devenue l’affaire de tout un pays.

 Les comportements déplacés de l’acteur à l’égard des femmes – mains aux fesses et propos obscènes – étaient largement connus, mais sont devenus inacceptables dans le contexte du mouvement Me Too. Sa passion pour les dictateurs, Castro, Poutine, Kim Jong-Un comme sa faiblesse pour les discours complotistes le marginalisent. Son exil fiscal irrite.

 Des épisodes filmés lors d’un voyage en Corée du Nord et diffusés en prime-time sur France Télévision révèlent en lui un véritable salopard. Il offre comme cadeau de départ à son guide une montre et un billet de 50 euros : « ce n’est pas pour toi mais pour ta femme et tes enfants qui supportent un con comme toi. »

Gérard Depardieu dans Cyrano

Raphaëlle Bacqué et Samuel Blumenfeld s’attachent à comprendre en profondeur la personnalité de Gérard Depardieu, sans occulter son versant lumineux. Ils citent Yves Angelo : « sur un plateau, il connaît tout le monde, salue chacun, est le mieux informé de l’histoire d’amour du machino et aide les autres acteurs, même lorsque la caméra n’est plus sur lui. »

 Sa voix est douce, sa carrure, celle d’un camionneur. Il est « un paillard obscène dans les gestes et le poète raffiné dans les mots. » « L’anxiété chez le comédien produit un phrasé sublime, non répertorié dans les manuels de comédie. Le jeu de l’acteur est fait d’oxymores, entre brutalité et finesse, assurance et angoisse. »

 L’angoisse est au cœur de la personnalité de cet homme dont une des femmes qui ont partagé sa vie dit qu’il n’a jamais été totalement heureux une journée entière. Ce qui le rend unique, c’est l’angoisse qui l’habite en permanence et l’amène à ingurgiter des quantités phénoménales d’alcool : « L’alcool, c’est presque un médicament, dit Depardieu. Ça rallume la chaudière ». « C’est un mec qui ne s’aime pas, dit Marc Esposito (…) S’il boit ce qu’il boit, s’il prend ce qu’il prend, c’est qu’il y a une énorme fragilité, le rendant encore plus attachant. »

Guillaume et Gérard Depardieu dans « Aime ton père »

Le chapitre du livre sur les relations entre Gérard Depardieu et son fils Guillaume est bouleversant. Le fils était, lui aussi un comédien doué, mais privé de cette aura qui rendait acceptable les comportements déviants de son père. Cette différence lui causait une souffrance insupportable. Les relations entre père et fils étaient le plus souvent conflictuelles. Les auteurs de « une affaire très française » évoquent « le désir fou (de Guillaume) de plaire à Gérard et en même temps d’être sûr de lui déplaire. »

 En 2022, le film « Maigret », avec Depardieu dans le rôle-titre, sonne comme un adieu. Dans « transhumances », je soulignais combien l’acteur était impressionnant dans le rôle de Maigret : massif, implacable, crépusculaire, fragile, presque pathétique.

 Le livre de Bacqué et Blumenfeld se lit comme un roman. À l’égard de ce monstre du cinéma français, il constitue à la fois un réquisitoire impitoyable et une plaidoirie chaleureuse. Bien dans la ligne de cette personnalité divisée.

Gérard Depardieu dans Maigret

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