Dans « Blum le magnifique, du juif « belle époque » au leader socialiste » (Éditions de l’Observatoire, 2020), Frédéric Salat-Baroux décrit le parcours de Léon Blum de sa naissance en 1872 au congrès socialiste de Tours qui, en 1920, le consacra comme un leader des socialistes n’acceptant pas les conditions de la troisième internationale dirigée par Lénine.
« Blum n’est pas né Blum, écrit Frédéric Salat-Baroux. Il est l’un de ces rares personnages historiques qui le sera devenu sans réellement l’avoir voulu. Il demeurera toujours, un homme amoureux et curieux de l’existence, à l’écoute de ses sentiments et de ses sens, refusant d’être mené par l’ambition ou l’obsession de laisser sa marque. Un homme qui aura mis du temps à se trouver, à combler un manque intérieur qu’il a tardé à comprendre et qui peut se résumer par : le désir de justice. »
Ce sont en effet les chocs de l’histoire qui amènent cet amoureux des femmes et de la littérature à s’engager politiquement : l’Affaire Dreyfus, la première guerre mondiale, la révolution bolchevique.
Léon Blum se définit comme passionnément français et aussi comme juif. Il porte une reconnaissance éperdue à la France, premier pays à avoir reconnu les juifs comme citoyens. Dans l’Europe de la fin du dix-neuvième siècle, les juifs ont atteint une forte présence dans l’élite. C’est ainsi, souligne l’auteur, que dans la Vienne du tournant du siècle, 60% des avocats et 30% des médecins étaient juifs. Pourtant, le moteur de leur ascension n’est pas l’argent, mais l’ambition culturelle. « On suppose généralement, écrit Stefan Zweig, que dans la vie le but propre et typique d’un juif est la richesse. Rien n’est plus faux. La volonté réelle du juif est de s’élever spirituellement, d’atteindre à un niveau culturel supérieur. »
Il reste que s’incruste dans la société l’idée que les juifs sont assoiffés de pouvoir et d’argent. Dans une société tourneboulée par le capitalisme, où les inégalités n’ont jamais été aussi criantes, l’idée s’installe que les juifs ont partie liée avec le capital. L’antisémitisme progresse, y compris parmi les socialistes.
Léon Blum sera, toute sa vie, confronté à un antisémitisme fanatique. Il le décrit d’une manière ironique. « Entretenez-vous de la salière posée sur la table avec un homme pour qui l’antisémitisme est devenu une religion cachée. Après tout juste deux phrases, son esprit avide de confirmer sa manie parviendra à dire que les anciens hébreux se livraient déjà à des indélicatesses dans le commerce du sel en provenance de Phénicie et que le pourcentage d’employés juifs dans les salines est aujourd’hui trop élevé. Il est simplement devenu incapable de percevoir une salière. »
Il sait aussi que le judaïsme structure profondément sa façon de voir le monde. Son biographe souligne combien il est marqué par le messianisme juif, qui sous-tend son engagement pour l’avènement d’une société juste. Bernard Lazare écrivit à Alfred Dreyfus, qui avait survécu à des années de bagne : « Chrétien, vous seriez mort en en appelant à la justice divine. Juif, vous avez voulu vivre pour la voir se réaliser. »
L’Affaire Dreyfus rapprochera Léon Blum de Jean Jaurès, qui deviendra en quelque sorte son père spirituel. Le sentiment d’injustice façonnera ses convictions socialistes. Il perdurera bien après l’acquittement de Dreyfus en 1906, après 12 ans de calvaire. Les coupables ne seront jamais inquiétés. « La France avait goûté au déshonneur, habillé par un prétendu esprit d’apaisement. Le terrain était désormais préparé pour 1940 et Vichy », écrit le biographe.
Le second choc historique est la première guerre mondiale. Léon Blum devient chef de cabinet du socialiste Marcel Sembat, ministre chargé des travaux publics, des transports, du chauffage et du ravitaillement, une tâche immense alors que la guerre a tout désorganisé. Il s’y fait connaître comme un travailleur acharné et efficace, mais aussi par son sens de la négociation, son sens politique.
Enfin, Blum et les socialistes français sont confrontés à Lénine qui, fort du succès de la révolution bolchevique, impose 21 conditions à l’entrée dans la toute nouvelle troisième internationale. « Celles-ci reflètent, sans aucune concession, l’esprit et la radicalité du bolchevisme : le centralisme, qui exige d’appliquer, dans une logique militaire et descendante, les décisions de la troisième Internationale ; la mise en place d’une organisation parallèle et clandestine ; l’abandon des règles démocratiques de fonctionnement ; la subordination des syndicats ; l’agitation dans l’armée ; l’exclusion des réformistes et des centristes ; l’épuration périodique. Bref, la transformation des partis socialistes démocratiques ne groupe révolutionnaires homogènes, disciplinés et professionnels. »
Léon Blum fera partie de la minorité qui refuse l’adhésion. Du combat mené au congrès de Tours, qui conduit à la scission entre communistes et socialistes, il gagne la réputation d’un leader, celui qui, des années plus tard, portera la SFIO et le front populaire au pouvoir.
« Blum le magnifique » est un livre remarquable, tant par l’évocation magistrale des faits historiques que par la compréhension en profondeur d’une personnalité exceptionnelle.