Dans la maison

« Dans la maison », le dernier film de François Ozon, est un captivant thriller sans meurtre ni police, autour de la création littéraire.

 En ce jour de rentrée scolaire, Germain (Fabrice Lucchini) est un professeur plus déprimé que jamais. L’administration du lycée Gustave Flaubert a décidé d’imposer l’uniforme pour favoriser l’égalité entre les « apprenants » (le mot élève est banni). Les apprenants surpassent l’administration en ineptie : la première dissertation – « racontez votre week-end » – confirme la nullité générale. Il y a toutefois une exception : Claude (Ernst Umhauer), un élève discret au dernier rang de la classe, raconte son intrusion dans la maison d’un condisciple. Elevé dans des conditions difficiles par un père seul et handicapé, il entend voir de près la vie d’une famille « normale », celle que constituent Esther (Emmanuelle Seigner), son mari Raphaël et leur fils lui aussi prénommé Raphaël : « les Raphas », les appelle Claude. Il évoque « le parfum de femme de classe moyenne » qui se déprend de la maison des Raphas. Il conclut sa rédaction par un énigmatique « à suivre ».

 Germain est fasciné par Claude, certainement pour son talent littéraire qui ne demande qu’à être guidé pour éclore, peut-être aussi en raison d’une trouble attirance pour ce beau garçon à l’aspect androgyne, peut-être enfin parce qu’il représente le fils qu’il n’a jamais eu. D’autres textes suivent, dans lesquels Claude raconte son incrustation dans la famille normale, au motif d’aider son camarade dans ses devoirs de mathématiques. Germain partage la saga des Raphas avec Jeanne (Kristin Scott Thomas), sa femme, qui traverse un moment difficile : la galerie d’art moderne qu’elle gère est menacée de fermeture. De « à suivre » en « à suivre », Germain devient le coach de Claude. Pour que le roman des Raphas prenne de la densité littéraire, il faut provoquer les personnages, créer des situations qui les obligent à agir de manière spectaculaire. La fiction prend les commandes du réel. Germain va s’y brûler les ailes. Claude doit inventer une fin, et celle-ci ne peut être que tragique.

 Comme dans « huit femmes », un précédent film  de François Ozon, l’action se déroule pour l’essentiel dans le huis-clos d’une maison, ici celle des Raphas. Cette maison, pimpante, proprette, est parfois observée de l’extérieur comme un décor de théâtre ; celle qui l’anime de l’intérieur, Esther, est d’ailleurs décoratrice. Dans la dernière scène, Claude s’assied sur un banc aux côtés de Lucchini, défait par la vie, déchu de son travail et quitté par sa femme. Tous deux contemplent une façade d’immeuble, dont chaque appartement est éclairé. On croirait une ruche dont les alvéoles sont remplis du spectacle de la vie, tout prêt à surgir dans la fiction romanesque. On pense alors au « La vie mode d’emploi » de Georges Perec et son extraordinaire évocation de la vie des habitants d’un immeuble d’une rue imaginaire de Paris.

Dans la maison, Claude s’incurste chez les Raphas

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