La droite selon Patrick Buisson

L’interview de Patrick Buisson dans Le Monde du 9-10 juin exprime clairement le projet politique qu’avait adopté Nicolas Sarkozy en vue de sa réélection l’an dernier.

 Patrick Buisson a le sens de la formule : « la présidentielle de 2012, dit-il, n’a pas été un échec mais une défaite fondatrice ». Selon lui, la droitisation du positionnement politique de l’ancien président de la République ne correspondait pas à une posture tactique, mais à une refondation de la droite.

 La droite, selon Buisson, doit se démarquer clairement de la gauche. Il évoque la petite mécanique implacable si bien décrite par Mark Twain : « les gens de gauche inventent des idées nouvelles ; quand elles sont usées, la droite les adopte. »

 Sarkozy a gagné en 2007 sur les thèmes de la nation, de l’identité et du travail. C’est sur ces valeurs que la droite doit se concentrer. Elle doit s’adresser en priorité à « la France du travail et de la relégation » : ces Français qui travaillent mais sont inquiets pour leur emploi, pour leurs enfants, pour leur sécurité, et qui sont sous-consommateurs de prestations sociales. Ce faisant, elle rejoint les valeurs historiques de la tradition ouvrière : le patriotisme, le protectionnisme et le conservatisme en matière de mœurs.

 En matière économique, citons Buisson dans son interview au Monde : « L’économique est toujours le reflet d’une métaphysique. On est passé d’un capitalisme entrepreneurial qui, en osmose avec l’éthique chrétienne, conférait une valeur morale au travail, à l’investissement à long terme, à l’ascétisme et la satisfaction différée à un capitalisme financier qui privilégie la pulsion et la compulsion, le court-termisme et la jouissance instantanée. La crise économique actuelle est en réalité une crise de civilisation, celle d’une forme de capitalisme qui favorise des comportements humainement, socialement et économiquement destructeurs. »

 La référence à l’éthique chrétienne n’est pas accidentelle. La droite des valeurs se fonde sur le christianisme. Patrick Buisson salue la dynamique qui s’est créée contre le « mariage pour tous » sur la conviction qu’il existe une légitimité supérieure à la loi, celle d’une loi morale reliée à la transcendance.

 Patrick Buisson demeure persuadé que Nicolas Sarkozy est le seul à pouvoir faire revenir la droite au pouvoir. Cet avis se heurte à la perception de l’ancien président de la République par l’opinion publique : il est en effet davantage vu comme un homme dirigé par des pulsions et des compulsions que comme un ascète profondément enraciné dans les valeurs chrétiennes. Sur ce terrain, François Fillon est plus crédible.

 Au-delà des questions de personnes, le positionnement stratégique préconisé par Buisson pose de nombreuses questions. Il n’est pas sûr que les valeurs chrétiennes puissent servir de socle à l’action politique dans la France multiculturelle de la seconde décennie du vingt et unième siècle. Les manifestations contre le mariage homosexuel ont très largement rassemblé, mais étaient-elles vraiment « populaires » ? La forte concentration de « familles Cyrillus » dans les cortèges amène à en douter.

 La principale question est de savoir si se polariser, en concurrence avec le Front National, sur les peurs des Français est une bonne chose pour la France. Notre pays est situé dans un environnement international qui change à toute vitesse. Le rapport sur « l’innovation, un enjeu majeur pour la France » de Jean-Luc Beylat et Pierre Tambourin évoque ce bouleversement : « à des titres divers, le développement économique accéléré des pays dits émergents, leur présence de plus en plus prégnante dans le champ de l’innovation, les nouveaux enjeux sur la rareté des ressources, la concentration des investissements dans les mégapoles, la démocratisation de l’accès au savoir et aux données via le réseau internet, la globalisation ascendante des initiatives ou encore la vélocité des technologies sont, entre autres, autant de faits majeurs d’un monde qui se réinvente plus vite que l’on ne peut le penser, plus vite même que l’on ne peut le structurer. Face à cette accélération et à cette complexification des enjeux, les politiques publiques paraissent parfois démunies, souvent désordonnées.»

 Le positionnement de Patrick Buisson souffre d’une contradiction interne. Vis-à-vis de l’extérieur, il s’agit d’édifier une ligne Maginot de droits de douane, de freins à l’immigration, de réglementations. A l’intérieur au contraire, c’est la logique libérale qui s’applique. Les messages sont brouillés. Il importe aujourd’hui de faire comprendre qu’on ne peut s’abstraire du monde tel qu’il est, qu’il faut s’avancer avec confiance, apprendre le changement, s’appuyer sur les forces de notre peuple et lever peu à peu les obstacles qui habitent notre culture jacobine. Patrick Buisson propose une politique de l’épouvantail : le contraire de celle qu’il faut mener.

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