Le dernier film de Woody Allen, Blue Jasmine, raconte la déchéance d’une femme du monde sombrant dans la faillite de son mari et ses tentatives désespérées pour regagner un statut social.
Jasmine (Cate Blanchett), épouse d’un homme d’affaires new-yorkais à la réussite aussi brillante et rapide que sulfureuse (Alec Baldwin), vient se réfugier à San Francisco chez sa sœur Ginger (Sally Hawkins). Tout oppose les deux femmes : la grande bourgeoise élégante, ambitieuse et hautaine n’a rien de commun avec la caissière de supermarchés éprise de prolétaires machos. C’est pourtant chez elle qu’elle vient tenter de refaire sa vie.
Jasmine a changé son nom, car Janet lui semblait vulgaire. Elle a mené grand train, vaste appartement à Manhattan, grande maison à la mer, vêtements chics, bijoux, chevaux, dîners mondains. Encore maintenant, bien que se disant totalement fauchée, elle ne conçoit de voler de New York à San Francisco qu’en première classe.
Peu à peu, Woody Allen nous fait découvrir que la souffrance de Jasmine vient de loin. Longtemps, elle a regardé ailleurs lorsque ses comptes bancaires étaient utilisés pour des opérations louches, ou lorsque son mari avait des relations extraconjugales. Elle avait un statut social, un fils brillant étudiant à Harvard, un mari prévenant ses moindres envies. Mais peu à peu, l’évitement de la réalité n’est plus soutenable. Elle livre son mari à la police pour se venger de son infidélité et déclenche une catastrophe qui la dévaste elle-même, provoque le suicide de son mari et entraîne la rupture avec son fils.
Jasmine ne s’avoue pas vaincue. Elle veut devenir décoratrice s’intérieur, suivre une formation en ligne, et d’abord apprendre se servir d’un ordinateur. Elle s’abaisse à devenir secrétaire médicale pour avoir un salaire et pouvoir rebondir. Elle croit toucher au but lorsqu’elle séduit un diplomate qui lui propose le mariage. Mais la relation repose sur des petits mensonges qui finissent par éclater comme des bulles.
Jasmine quitte la maison de Ginger. Dans la dernière scène du film, elle est seule sur un banc et soliloque, déconnectée de la réalité, totalement disloquée.
« Blue Jasmine » n’est pas, selon moi, un grand Woody Allen. Il y manque l’humour new-yorkais ou la poésie qui marquent ses chefs d’œuvre. Pourtant, le jeu de Cate Blanchett est exceptionnellement fort. Par beaucoup de côtés, le personnage de Jasmine est odieux : elle est hautaine et égoïste, elle aime le fric, elle manque de discernement, elle trahit son mari, elle méprise ouvertement sa sœur et ses amants « loosers ». Pourtant, le spectateur compatit avec son immense souffrance intérieure et admire sa volonté, quelles que soient les épreuves, de ne jamais baisser les bras, de garder la tête haute, de conserver l’espoir.
C’est un beau portrait de femme que propose Woody Allen. Le choix de Cate Blanchett pour l’interpréter est judicieux. J’avais été captivé par son rôle dans une pièce de théâtre, Big and Small au Barbican en avril 2012. Elle y jouait déjà le rôle d’une femme d’âge moyen se heurtant aux parois vitrées d’une vie devenue totalement solitaire.