Le Tanztheater Wuppertal vient de donner au Grand Théâtre de Bordeaux deux chorégraphies de Pina Bausch : Café Müller et le Sacre du Printemps.
« Le Sacre du Printemps » est une magnifique chorégraphie qui donne chair et mouvement à la symphonie éponyme de Stravinsky et à deux autres de ses œuvres. « Café Müller », créé par Pina Bausch en 1978, n’est pas à proprement parler une chorégraphie. On pourrait le caractériser de théâtre dansé.
Deux femmes seules errent dans la grande salle vide du café Müller. L’une avance comme une aveugle. Un homme s’efforce d’écarter chaises et guéridons pour qu’elle ne bute pas. L’autre cherche anxieusement un homme. Elle se jette dans ses bras. Un autre homme rectifie la position du couple : la femme est portée par son compagnon et lui enlace le cou. Mais après quelques secondes, elle tombe. L’homme ne se décourage pas, et place la femme de nouveau dans les bras de son compagnon. Mais elle tombe, plus vite. La scène se répète de plus en plus vite et atteint l’hystérie. Au café Müller, la communication est impossible. Les hommes laissent tomber les femmes. Les chaises des absents entravent les présents. Hommes et femmes se projettent mutuellement à grand fracas sur les parois et les portes vitrées du café.
Le plus souvent, les scènes sont jouées en silence : on n’entend que le halètement des personnages, le fracas des chaises qui tombent, les pas qui résonnent sur le parquet, le choc étouffé de la chute des corps. Parfois, les personnages se meuvent au son de l’opéra Didon et Enée de Purcell. La musique, sublime, rend criante la désespérance d’hommes et de femmes qui se trouvent physiquement proches mais ne peuvent se rejoindre.
Café Müller arrache le cœur du spectateur. Celui-ci est pris à témoin de la guerre des sexes et de la pollution du sentiment amoureux. Pina Bausch a créé une œuvre d’art sombre et terrible d’une intensité exceptionnelle. Un chef d’œuvre inclassable et bouleversant.