La Russie à l’heure de Sotchi

La chaîne de télévision Arte a consacré le 28 janvier une soirée thématique à la Russie, avec la diffusion de deux documentaires : « quand Poutine fait ses jeux » d’Alexander Gentelev et « l’ombre de Staline » de Thomas Johnson.

 La tenue des jeux olympiques d’hiver à Sotchi est en soi une aberration. Cette station balnéaire bénéficie d’un climat subtropical ; les montagnes enneigées sont distantes de 50km et ne bénéficiaient que d’équipements rudimentaires. Le choix de Sotchi a été imposé par un homme, Poutine. Le budget initial était pharaonique : 12 milliards de dollars, soit six fois plus que celui des jeux d’hiver précédents.

Equipements olympiques à Sotchi
Equipements olympiques à Sotchi

 On assiste ensuite à un festival d’amateurisme, de mépris de l’environnement humain et naturel et de corruption. La facture dépassera 50 milliards de dollars.

 Amateurisme : des équipements lourds tels que le tremplin de saut sont implantés sans étude préalable dans des zones de terrains instables ; l’aéroport est construit dans une zone de marécages ; un port est aménagé pour recevoir les matériaux de construction mais il est détruit avant son achèvement par une tempête ; lorsqu’il est livré, les matériaux ont déjà été acheminés par le rail.

 Mépris de l’environnement humain et naturel : expulsions forcées dans le cadre d’une loi d’exception interdisant les recours ; pollution d’une rivière approvisionnant Sotchi en eau potable par la construction, dans son lit, d’une route et d’une voie ferrée.

 Corruption : les entreprises sont habituées à payer aux fonctionnaires des dessous de table de 5 à 12% du montant des travaux. Elles découvrent que les rétrocessions peuvent aller jusqu’à 50% sur les travaux de Sotchi.

 On ne peut que faire le parallèle avec les jeux olympiques d’été à Londres en 2012. Les délais avaient été respectés et le budget n’avait pas été dépassé. Ce qui permet l’effroyable gabegie de Sotchi, c’est un régime fondé sur l’intimidation et l’obscurité.

 A cet égard, le documentaire de Thomas Johnson sur « l’ombre de Staline » est éclairant. A trois reprises, sous Khrouchtchev, Gorbatchev et Eltsine, la Russie a commencé à lever le voile sur la terreur stalinienne, qui a causé des millions de victimes de famines, d’exécutions ou de camps. Mais ce travail de mémoire n’a jamais été effectué jusqu’au bout. Les Russes n’ont jamais regardé en face ni analysé l’horreur stalinienne comme les Allemands l’ont fait pour l’horreur hitlérienne.

 Poutine n’est certes pas un dévot de Staline. Mais, obsédé par l’idée d’une Russie forte et indépendante, il valorise son rôle dans la « grande guerre patriotique » de 1941 – 1945 et minimise la terreur. Il a donc mis un frein à l’ouverture des archives du Goulag. Récemment, les ONG recevant des subsides de l’étranger, dont l’association Mémoire qui travaille à documenter les persécutions staliniennes, ont été obligées de se déclarer comme agences étrangères.

 Le scandale de Sotchi aura probablement des conséquences lourdes dans les prochaines années, à cause de l’ampleur des ressources drainées et de la corruption massive. Mais il est le résultat direct de la situation d’un pays dont le passé écrasant n’a pas encore pu être éclairé, expliqué, digéré. Le sera-t-il un jour ?

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