« Un homme, ça ne pleure pas », de la toute jeune romancière Faiza Guène (née en 1985) est un livre drôle et émouvant qui évoque avec justesse le destin d’une famille d’immigrés algériens à Nice.
Mourad Chennoun est le narrateur. Il est né en France de parents algériens. Son père, cordonnier, ne sait ni lire ni écrire mais accroche des stylos à bille à la poche de sa chemise. C’est un homme digne, dont un article de foi est que « un homme, ça ne pleure pas », et un autre que « on ne repart jamais de zéro, même les arabes bien que ce soient eux qui l’aient inventé, le zéro ».
La mère de Mourad est un phénomène, « une mère pieuvre aimante autant qu’envahissante ». Tragédienne née, elle fait à son mari et ses enfants des scènes dignes de Phèdre lorsqu’elle est contrariée. Elle en fait des tonnes, dégouline d’amour, expose son foie saignant, utilise à tout bout de champ son arme de destruction massive, la culpabilisation… « Elle est très dévouée, comme toujours. Elle en fait beaucoup, comme toujours. Ce n’est pas très gênant. Ce qui est terrorisant, c’est qu’elle en attend autant en retour. »
Face à cette mère terrorisante, les trois enfants ont des réactions opposées. Dounia, l’aînée, a refusé le mariage arrangé qu’on avait préparé pour elle et claqué la porte sans esprit de retour. Dix ans plus tard, c’est une avocate brillante qui mène une carrière prometteuse à la mairie de Nice. Elle publie un livre intitulé le « prix de la liberté », ce prix étant la rupture totale avec sa famille arriérée.
Mina, la seconde, a fait un choix diamétralement opposé. Elle s’est mariée, a trois enfants, vit dans le quartier de papa et maman.
Mourad, le plus jeune, essaie d’inventer sa vie entre ces deux modèles opposés. Enseignant dans un collège du « neuf-trois », il observe ses élèves issus de l’immigration, parfois têtes de classe, parfois rejetés. Il est hébergé par son cousin Miloud, le gigolo d’une riche française avide d’amour. Ce qui le caractérise, c’est la clairvoyance. Il comprend le mode d’emploi de sa mère, le choix de conformité de Mina, la révolte de Dounia.
Frappé d’un AVC, le père de Mourad lui demande de revoir Dounia avant de mourir. Mourad prend contact avec elle. Sa sœur semble avoir réussi dans la vie, elle est le chouchou des médias, est en couple avec un ancien ministre. Pourtant, Mourad la trouve frappée d’une « tristesse archivée en elle depuis plus de dix ans », maigre, décharnée. « C’est là le cœur du problème : plus assez de chair ou plus assez d’amour. »
Mourad n’accepte pas le mode d’intégration prôné par Dounia, celui qui impose aux femmes de ne pas se voiler : « soyez libres à NOTRE manière, il n’y a qu’une façon d’être libre, la nôtre ». Mais il sait aussi que l’abdication de toute volonté propre par Mina n’est pas la solution. Il va lui falloir créer son propre chemin de liberté.
Si le livre de Faiza Guène est touchant, il est aussi drôle d’un bout à l’autre. En voici un exemple : « les hommes de pouvoir rient souvent en ho ho ho. Prenez par exemple le Père Noël, les patrons du CAC 40 ou les chefs d’Etat de l’hémisphère nord. Tandis que la middle class rit davantage en ha ha ha et les marginaux en hi hi hi. Le hi hi hi est vraiment marginal (…) Le hé hé hé est un rire d’observateur. Les journalistes, les psys et les commentateurs sportifs rient en hé hé hé. »
« Un homme, ça ne pleure pas » fait pleurer d’émotion et de rire. Bravo !