« La Princesse de Clèves », roman historique publié par Marie Madeleine de Lafayette en 1678, est considéré comme une œuvre majeure de la littérature française. Les thèmes qu’il évoque, l’amour passionnel, la fidélité, le sacrifice du bonheur personnel, ont été déclinés par nombre d’œuvres littéraires, théâtrales ou cinématographiques jusqu’à aujourd’hui.
Avant que Jean-François Coppé fasse à son corps défendant (si on peut dire) la promotion de « Tous à poil », un autre membre illustre de l’UMP fit de « La Princesse de Clèves » un succès de librairie. En février 2006, Nicolas Sarkozy disait à des fonctionnaires : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur “La Princesse de Clèves”. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de “La Princesse de Clèves”… Imaginez un peu le spectacle ! »
Le roman se passe d’octobre 1558 à novembre 1559 à la cour du roi Henri II. « Il y avait tant d’intérêts et de cabales différentes, et les dames y avaient tant de part, que l’amour était toujours mêlé aux affaires, et les affaires à l’amour. Personne n’était tranquille, ni indifférent ; on songeait à s’élever, à plaire, à servir ou à nuire ; on ne connaissait ni l’ennui, ni l’oisiveté, et on était toujours occupé des plaisirs ou des intrigues ». Âgée de 16 ans, Mme de Clèves est mariée à un homme passionnément épris d’elle, un homme qu’elle admire pour sa droiture et son honnêteté, mais qu’elle n’aime pas. En revanche, grandit en elle une passion pour un autre homme, M. de Nemours, passion qu’elle tente d’étouffer sans y parvenir : « elle vit alors que les sentiments qu’elle avait pour lui étaient ceux que monsieur de Clèves lui avait tant demandés ; elle trouva combien il était honteux de les avoir pour un autre que pour un mari qui les méritait ».
M. de Clèves, informé de son infortune, meurt de chagrin. Mme de Clèves est écartelée entre la possibilité que lui ouvre son veuvage d’épouser l’homme qu’elle aime et la fidélité à un mari dont elle s’accuse d’avoir provoqué la mort. Elle finit par repousser M. de Nemours et choisir une vie partagée entre sa maison et un couvent. Ce qui la convainc d’adopter ce style de vie semi-monacal est qu’elle pense que le mariage avec M. de Nemours mettrait fin à la passion et ouvrirait la voie à l’infidélité et aux affres de la jalousie.
Ce qui m’a incité à lire la Princesse de Clèves est une discussion sur le film Ida avec ma professeure de littérature française à l’Université de Bordeaux. Le choix d’Ida de revenir au couvent après avoir expérimenté l’amour n’est-il pas semblable à celui de Mme de Clèves d’embrasser la vie religieuse par fidélité à son mari décédé ?
Que deviendrons-nous si nous vivons ensemble, demande Ida au musicien avec qui elle vient de faire l’amour ? Eh bien nous aurons des enfants, nous achèterons une maison et les ennuis commenceront, lui répond-il. Il y a dans cette réponse un écho à la crainte de Mme de Clèves que le mariage rompe l’enchantement de la passion amoureuse.
On peut se demander aussi si, dans le cas d’Ida comme de la princesse de Clèves, les conditionnements sociaux de font pas obstacle à la liberté des personnes : Mme de Clèves est paralysée par l’idée qu’elle se fait de la fidélité conjugale, même après la mort, et Ida est tellement habituée à la vie étroite du couvent qu’elle pourrait préfèrer sa sécurité à la vraie vie. Il me semble pourtant que les situations diffèrent profondément : Mme de Clèves a une véritable passion pour M. de Nemours, alors qu’Ida ne ressent qu’une inclination pour son amant d’un soir ; Ida éprouve au couvent une véritable expérience mystique, tandis que Mme de Clèves ne conçoit le couvent que comme un refuge contre les tentations du monde.
Le roman de Mme de Lafayette se réfère à un monde, la cour du roi, clos, artificiel et irritant comme le sont les coteries des puissants d’aujourd’hui. Les passions amoureuses qu’il met en scène sont uniquement psychiques, comme si les personnages n’avaient pas d’existence corporelle. Il est écrit dans un français magnifique que l’on lit avec plaisir, plus de trois siècles après sa rédaction.