Arte TV a diffusé récemment « L’Apollonide, souvenirs de la maison close », un film de Bertrand Bonello (2011).
Le film se déroule en 1899 – 1900. Madame Marie-France (Noémie Lvovsky) est la patronne d’un bordel de luxe où elle vit elle-même avec ses deux jeunes enfants. Une douzaine de prostituées travaillent et vivent dans la maison close. Elles partagent leur intimité entre filles, elles font commerce de leur intimité avec les hommes qui fréquentent l’établissement.
La patronne accueille les clients au rez-de chaussée. Ils pénètrent ensuite dans un salon luxueux où l’on boit du champagne à flots, où hôtesses et clients minaudent et s’échangent mots doux et caresses. Ils sont invités à « faire commerce » avec une des filles dans une chambre tapissée de miroirs.
Les filles vivent dans des chambres austères sous les combles, où elles dorment dans des lits partagés. Elles prennent leurs repas ensemble. Vers 16h, elles s’entraident pour préparer leur corps à la soirée de travail. Elles se murmurent des confidences, parlent les clients, racontent le dégoût que leur inspire celui-ci ou de secrets désirs celui-là.
On assiste à un entretien de recrutement. Pourquoi veux-tu venir ici ? demande la patronne à la jeune candidate. Pour être libre, répond-elle. Ici, c’est une maison close, répond la patronne, la liberté c’est dehors. C’est en effet un sentiment de captivité que l’on ressent par contraste lorsque les filles partagent, sous l’autorité de la maquerelle, une journée d’été à la campagne au bord d’une charmante rivière : ce soir, il faudra revenir !
On assiste à une visite médicale. L’établissement garantit que les filles sont saines. Un médecin inspecte chacune d’elles à tour de rôle sous le regard des autres. Elles attendent le verdict avec angoisse : sont-elles enceintes ? Ont-elles contracté une maladie vénérienne ?
L’Apollonide vend à ses clients du plaisir, de la joie et de l’insouciance. Mais la vie des filles est précaire. Un client défigure l’une d’elles au point d’en faire un monstre qu’on expose, et elle pleure en rêve des larmes de sperme. La syphilis est une menace mortelle. On gagne beaucoup d’argent, mais on finit par se retrouver endettées. Et l’Apollonide va fermer : l’augmentation du loyer rompt son équilibre financier. Certaines filles se recaseront dans d’autres maisons de luxe. D’autres iront faire de l’abattage.
Le film de Bertrand Bonello est daté d’une époque vieille de plus d’un siècle. Mais la bande sonore contient d’étonnants anachronismes, avec les filles dansant sur de la musique disco. La dernière scène donne la clé de cette dissonance : l’une des filles de l’Apollonide fait le trottoir près du périphérique d’une grande ville. Les formes de la prostitution ont changé, mais le plus vieux métier du monde reste d’actualité.
« L’Apollonide, souvenirs de la maison close » a reçu des avis partagés. Dans Télérama, par exemple, Guillemette Odicino évoque « l’un des plus beaux films sur la chair féminine », alors qu’Aurélien Ferenczi déplore son côté excessivement cérébral, son incapacité à émouvoir le spectateur. De mon côté, il m’a profondément touché. Il n’y a pas de voyeurisme et très peu d’action. Mais des sentiments percolent dans notre âme, la sensualité charnelle bien sûr, mais aussi son flétrissement, et puis l’empathie avec des filles qui croient avoir choisi l’argent facile mais se retrouvent dans une prison dorée, habitée de parfums mais sentant la mort.