Sur notre route de Tunis à Bizerte, nous faisons un détour par Ghar el Mehl, une cité très ancienne confrontée à de nombreux défis.
Ghar el Mehl (« les grottes du sel », en arabe) occupe une situation stratégique. La ville est bâtie au bord de la lagune dans l’estuaire du fleuve Mejerda. Elle est adossée à des collines escarpées. Elle aurait été fondée vers 1600 avant JC, huit siècles avant Carthage. Au seizième siècle de notre ère, elle accueillit une importante communauté d’Andalous, réfugiés d’Espagne. Trois fortins et le vieux port sont l’œuvre des Ottomans, au dix-septième siècle. Une église à côté de la Mosquée atteste de la présence de Maltais jusqu’à l’indépendance de la Tunisie.
La ville est connue par les Tunisois pour la plage de sable blanc de Sidi Ali el Mekki. On se baigne dans une eau turquoise et l’on déguste à déjeuner une daurade grillée avec une salade tunisienne, l’une et l’autre délicieuses. A la porte du fort ottoman à l’entrée de la ville, nous rencontrons un adjoint au maire et une jeune architecte. Ils nous parlent avec enthousiasme du potentiel touristique de sa ville. Le fort pourrait être utilisé comme espace d’exposition. Le sous-sol de la ville contient des richesses archéologiques au moins égales à celles d’Utique, un site voisin ouvert au public.
Il y a dans la ville plus de vingt bâtiments dignes d’intérêt, dont l’école primaire, construite par les Français dans un style remarquable, la façade protégée du soleil par une élégante colonnade. Des familles auraient la volonté et la capacité d’ouvrir des maisons d’hôtes, attirant des touristes désireux de s’immerger dans la vie et la culture locales. Tout est à faire, et les moyens sont rares.
Il y a pourtant urgence. L’urbanisation sauvage menace la lagune et la côte ; il semble que l’anarchie administrative qui a suivi la révolution du 14 janvier 2011 ait accru l’avidité et la hâte des prédateurs. L’écosystème de la lagune est menacé par le détournement des flots de la Mejerda. On nous explique que sur des îlots de la lagune poussaient des plantes, irriguées deux fois par jour par la marée : l’eau douce étant plus légère que l’eau salée, c’est elle qui venait lécher la base des végétaux. Le niveau de la lagune baisse, son taux de salinité augmente, un désastre écologique est en marche.
Parler avec le maire adjoint de Ghar El Mehl est stimulant, car il milite pour un développement durable, fondé sur la rencontre des cultures et le respect de l’environnement. Mais on sent bien qu’une course de vitesse est engagée entre la voie qu’il préconise et les dommages qui se commettent chaque jour.
Non loin de Ghar el Mehl, nous visitons Raf Raf, dont la baie est un site de toute beauté, lui aussi défiguré par l’urbanisation sauvage. Au centre ville, un artisan et ses fils produisent des cages à oiseaux d’une rare élégance. Raf Raf signifie battements d’ailes, en arabe.