Presse : vers un monde sans papier ?

Arte TV  a diffusé récemment un passionnant documentaire de Marie-Ève Chamard et Philippe Kieffer : « Presse : vers un monde sans papier ? ».

 En cinq ans, la diffusion de la presse papier en Europe a diminué de 25%. Ce n’est pas la lecture sur papier qui est en cause : les lecteurs achètent volontiers des magazines, qu’ils aiment tenir en main, dans lesquels ils vagabondent, se laissent surprendre mais goûtent aussi la sécurité d’une structure éditoriale. Le problème des quotidiens est « la crise du temps différé ». Dans l’édition du Monde en papier, je découvre jeudi matin la composition du nouveau gouvernement annoncé sur le perron de l’Elysée mardi en fin d’après-midi. Ce décalage temporel n’est plus accepté : les consommateurs d’information exigent de connaître une telle annonce et de disposer de commentaires à l’instant même.

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Rédaction à l’ère du numérique

En Inde, la presse écrite en pleine croissance

 Pour le reportage, Marie-Ève Chamard et Philippe Kieffer se sont rendus dans plusieurs pays : Allemagne, France, Etats-Unis, Inde, Royaume-Uni. En Inde, pays qui consomme à lui seul un cinquième des tirages de quotidiens dans le monde, lire un journal est un signe de promotion sociale. Lorsqu’on sort de la pauvreté et qu’on peut se payer un abonnement, on se fait livrer son journal le matin. Une armée de livreurs à bicyclette lancent les exemplaires liés en cylindres par-dessus les clôtures des maisons ou sur les balcons des appartements. S’ils sont en retard, un appel des clients sur leur téléphone portable les rappelle à l’ordre.

 Aux Etats-Unis, où plus de 1.500 titres ont disparu ces dernières années, les journaux ont dû s’adapter à l’ère numérique. Dans un journal local, les journalistes se rendent sur le terrain, filment et montent sur place leurs vidéos avant de les envoyer électroniquement à leur rédaction. Au New York Times, on tend à produire l’information pour le site Internet : l’édition papier devient presque secondaire. C’est ce qui a conduit, en Grande-Bretagne, The Guardian à ouvrir des rédactions décentralisées en Asie et en Amérique qui produisent de l’information 24h / 24, ce qui permet à son site Internet d’être l’un des plus visités au monde.

 En France, la situation est particulière. Le PDG du journal Le Monde, Louis Dreyfus, souligne que c’est le pays où le prix d’un quotidien est le plus élevé, la pagination plus réduite, le tirage le plus bas et les subventions reçues les plus élevées : cherchez l’erreur ! Le Monde cherche à opérer sa révolution culturelle Internet : les équipes de jeunes rédacteurs de « lemonde.fr » ont été fusionnées avec celles de vieux brisquards du papier.

 La fin du monopole des quotidiens sur l’information d’actualité

 Quels sont les bouleversements en cours ?

 En premier lieu, les journaux quotidiens n’ont plus le monopole de la production d’information sur l’actualité. Les réseaux sociaux, les blogs, les centres d’analyses de données sont leurs concurrents directs sur le terrain de la publication et du commentaire de l’information. Il en résulte que le mot « Le Monde », par exemple, est de moins en moins associé au journal papier. Il devient une marque, un label, qui garantit que l’information est mise à disposition et commentée en suivant des processus spécifiques qui garantissent des caractéristiques de qualité, d’intégrité et de pluralité. Les canaux de mise à disposition de cette information sont multiples ; le format papier pourrait, à la limite, disparaître à terme alors que « le Monde » se développerait en France et à l’étranger sous forme numérique.

 La technologie ouvrira de nouveaux canaux. Le New York Times travaille sur des objets informateurs : on pourrait ainsi demander la météo ou les dernières nouvelles au miroir de sa salle de bains. Une piste évoquée par le reportage d’Arte TV est le jeu vidéo : le conflit israélo-palestinien peut ainsi se vivre de l’intérieur en s’immergeant sur le terrain à l’aide de cartes et d’images de synthèse.

 Les risques du lecteur-client roi

 L’évolution la plus significative consiste en la prise en compte des besoins et des rédactions du lecteur-client. L’un des interviewés du reportage explique que lorsque le journaliste a remis son article, il n’a effectué que la moitié du travail : il lui faut encore faire la promotion de son papier, répondre aux courriels des lecteurs, faire le bilan critique de son « audimat » et des réactions reçues.

 Grâce à Internet, les journaux tiennent des tableaux de bord en temps réel de leur lectorat : il leur est possible de savoir tout de suite quels sont les thèmes qui retiennent l’attention de leurs lecteurs, les opinions qui leur plaisent, les sujets qui les irritent. Il est aussi possible de définir un grand nombre de profils, et de construire pour chaque profil un journal virtuel différent offrant aux lecteurs seulement des articles sur les sujets qui les intéressent et des opinions allant dans le sens du poil.

 Cette tendance à la fragmentation représente un danger pour la démocratie. Classiquement, les quotidiens incarnent chacun une sensibilité particulière, et certains peuvent être qualifiés de « journaux d’opinion ». Mais c’est la rédaction qui guide le lecteur, offrant une variété de sujets et d’informations. Une excessive adéquation des journaux numériques aux attentes et aux préjugés de leurs différentes cibles de clients risque de dissoudre la solidarité citoyenne et de favoriser l’émiettement de la société.

 Le reportage de Marie-Ève Chamard et Philippe Kieffer, anciens journalistes à Libération, ne verse pas dans la nostalgie d’un bon temps révolu. Il souligne les dangers du bouleversement en cours de la presse écrite, mais montre comment ses acteurs travaillent à construire l’avenir.

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En Inde

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