Les déclarations du ministre du travail souhaitant un contrôle accru des chômeurs ont suscité un tollé. Cela invite à la réflexion.
François Rebsamen, ministre du travail, a ainsi souhaité « qu’on vérifie que les chômeurs cherchent du travail. Sinon, on est radié. Il faut qu’il y ait à un moment une sanction. » Des commentateurs ont relevé l’indécence de ce propos, à un moment où le chômage ne cesse d’augmenter et de ruiner la vie de centaines de milliers de personnes et de familles. Faire la chasse aux « faux chômeurs » jette la suspicion sur une immense majorité de « vrais » sans-emploi ; cela ne résorbera pas le déficit de l’assurance-chômage.
L’intervention intempestive du ministre du travail met pourtant en évidence un réel malentendu, qui porte précisément sur l’expression « assurance-chômage ». En rigueur de terme, une assurance est un contrat qui, en contrepartie d’une prime, couvre le risque d’une catastrophe. La prime de l’assurance chômage est payée par le salarié et son employeur ; le risque est celui que le salarié se trouve brutalement privé de ressources du fait de la perte de son emploi.
Le concept d’assurance tend fâcheusement à s’effacer pour laisser la place à celui de droit social. On a « droit au chômage », entend-t-on fréquemment, dans un raccourci à faire frémir mais qui illustre parfaitement la dérive. Un cadre de 50 ans est licencié avec une confortable indemnité ; grâce à l’indemnité chômage, il se dispense de rechercher du travail, retape sa maison et voyage. Un jeune de 25 ans calcule qu’avec ses jobs étudiants, il a droit à une indemnité chômage qui lui permettra de prendre une année sabbatique et faire le tour du monde. L’un et l’autre ne se considèrent pas comme « assurés » contre un risque majeur pour eux-mêmes et leur famille ; ils disposent d’un droit de tirage sur la société et entendent optimiser ce droit comme, dans un autre contexte, des salariés optimisent leurs droits à congés.
C’est cette dérive qu’il faudrait combattre, au lieu de stigmatiser les faux chômeurs. C’est un travail de longue haleine, car il s’agit de croyances et de comportements profondément inscrits dans la culture française. Mais c’est la seule ligne d’action raisonnable, si l’on veut éviter d’entrer dans la lutte contre les pauvres qui fait rage actuellement en Grande-Bretagne.
Dans The Guardian du 29 août, le journaliste Owen Jones a écrit un article intitulé « socialisme pour les riches et capitalisme pour tous les autres en Grande-Bretagne ». L’idéologie dominante abhorre l’Etat, qui serait un obstacle à l’innovation, détruirait l’initiative, constituerait un blocage empêchant la libre entreprise de s’épanouir. En son nom, le gouvernement des Conservateurs et des Libéraux-Démocrates mène une guerre impitoyable contre les faux chômeurs et les allocataires abusifs. De juin 2012 à juin 2013, 860.000 allocataires ont été sanctionnés, contre 360.000 l’année précédente. Ainsi que le soulignent de nombreuses associations sur le terrain, cette politique précipite des milliers de familles dans la grande pauvreté.
Mais la réduction du soutien aux personnes plus vulnérables va de pair avec des transferts massifs aux plus riches. Owen Jones cite les mille milliards de livres versés aux banques par l’Etat après la crise financière de 2008, et l’incapacité du gouvernement à limiter les bonus (en 2012, 2.714 banquiers ont gagné plus de 1 million de livres). Il évoque les dégrèvements fiscaux accordés aux propriétaires immobiliers. Il cite aussi les privatisations, avec dans le cas de Royal Mail, la prise en charge des droits à retraite par l’Etat. Ce qui revient à privatiser les profits et socialiser les pertes.
La gauche française, actuellement au pouvoir, est seule à pouvoir fomenter la transition de la culture du droit social à celle de l’assurance sociale. Elle est seule en position d’organiser équitablement les transferts de ressources par l’Etat. Encore faut-il qu’elle ne cède pas à la facilité du discours de la droite, qui stigmatise d’autant plus volontiers les tricheurs qu’ils appartiennent à la populace.