Il est de retour

La couverture du livre de Timur Vermes, « Il est de retour », présente une mèche reconnaissable entre toutes : celle d’Hitler.

 Le livre a été publié en 2012 en Allemagne sous le titre « Er ist wieder da ». Il constitue un formidable succès d’édition : plus de 1.500.000 exemplaires vendus. Il a été publié en France en 2014 par Belfond, et l’on comprend vite les raisons de son succès outre-Rhin.

 Le livre est écrit à la première personne. Et cette personne n’est autre qu’Adolf Hitler. Un jour d’avril 2011, il se réveille vêtu de son uniforme dans un terrain vague de Berlin. Par chance, le quartier est le siège de nombreuses sociétés de télévision. Elles ont un besoin criant d’histrions, de comiques culottés qui n’aient pas peur d’enfreindre le politiquement correct, de s’en prendre aux étrangers et de ridiculiser les partis officiels.

 Pour la société de production Flashlight, l’arrivée de cet ovni ressemblant furieusement au vrai Führer est une bénédiction. On l’essaie dans une émission comique animée par un présentateur turc. Le succès sur Youtube est tel qu’il devient une personnalité médiatique, avec sa propre émission, son propre studio, son site Internet et son personnel. Adolf Hitler reste fidèle au programme de Mein Kampf : restaurer la pureté de la race allemande, conquérir son espace vital à l’est. Mais il comprend que le monde a changé. C’est par la télévision qu’il peut reconquérir le pouvoir, une télévision où tout ce qui fait de l’Audimat est bon à prendre, où le racisme peut s’exprimer librement puisqu’il ne s’agit que de bonnes blagues.

 Le livre de Timur Vermes constitue donc une fable sur les risques de dérive de la démocratie occidentale sous la pression des médias. Au premier degré, c’est aussi un livre drôle. La découverte par Hitler de la société allemande d’aujourd’hui, avec ses boutiques de nettoyage à sec turques, ses vieilles dames « démentes » qui ramassent les déjections de leur chien, son gouvernement dirigé par une femme ennuyeuse, est hilarante.

Timur Vermes. Photo "Le Point"
Timur Vermes. Photo « Le Point »

 Un marchand de journaux qui l’a recueilli après son réveil sur le terrain vague lui enjoint de troquer son uniforme contre des vêtements civils : « Ce truc empeste. Je ne sais pas où vous l’avez déniché. C’est du recyclage ? Un vieil uniforme de pompiste ? – Sur le champ de bataille, le simple soldat n’a pas le loisir de changer de tenue et je ne vais pas me compromettre en adoptant l’attitude décadente de ceux qui se la coulent douce à l’arrière. – Possible, mais pensez à votre programme ! – Pourquoi ? – Vous avez un programme ! Vous voulez le présenter, oui ou non ? – Et alors ? – Imaginez un peu : les gens arrivent, ils veulent faire votre connaissance, mais vous empestez tellement qu’on n’oserait même pas craquer une allumette en votre présence. »

 Allusion à l’incinération du corps d’Hitler sans son bunker, jeu de mot sur le mot « programme » (programme politique, programme de télévision), Vermes tire le meilleur parti des soixante six ans de décalage, et même de gouffre, entre l’Allemagne de 1945 et celle d’aujourd’hui.

 Le comique qui connait un succès foudroyant à la télévision ne peut s’appeler Hitler ! La juriste qui établit son contrat cherche à connaître sa véritable identité : « Voyez-vous, je ne voudrais pas être désagréable, mais… ça ne passera jamais au service des droits, je peux… enfin, s’ils voient le contrat établi au nom d’Adolf Hitler… – Et qu’est-ce que vous voulez écrire à la place ? – Eh bien, excusez-moi si je vous pose encore une fois la question, mais vous vous appelez vraiment comme ça ? – Non, dis-je accablé, je ne m’appelle évidemment pas comme ça. Mon vrai nom est Schmul Rosensweig. – Ah, je le savais ! dit-elle, manifestement soulagée. Comment vous écrivez cela, Schmul ? Avec un h avant le l ? – C’était une blague ! Criai-je dans le combiné. – Ah bon ! Oh là, là ! Dommage… »

 Celui que les médias désignent comme le « Führer Youtube » est d’accord avec Mme Bellini, la président de Flashlight, qui voit en lui une mine d’or : « les Juifs ne sont pas un sujet de plaisanterie ». D’une certaine manière, le livre de Timur Vermes dé-diabolise Hitler en le transformant en un original déjanté et presque sympathique. Mais ce faisant, il nous fait comprendre que le risque existe que, dans des temps difficiles, un halluciné prenne le pouvoir et conduise son pays et le monde à la catastrophe.

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