Avec “Marie Heurtin », Jean-Pierre Améris a réalisé un beau film, émouvant et vrai, irradié par la présence d’Isabelle Carré.
Le film est inspiré d’une histoire vraie qui s’est déroulée autour de 1900 dans un pensionnat religieux accueillant des filles sourdes et muettes. Lorsque Marie Heurtin (Ariana Rivoire), une sauvageonne d’une quinzaine d’années, est amenée dans l’institution, la réaction de la mère supérieure est de refuser de l’accueillir : l’institution est capable d’enseigner le langage des signes à des enfants capables de les lire. Marie est aussi aveugle, ce qui rend caduque la pédagogie. Elle est aussi complètement asociale, ce qui semble vouer toute approche à l’échec.
Sœur Marguerite (Isabelle Carré) travaille au potager et n’y connaît rien à la pédagogie ; de plus, elle est atteinte de tuberculose et son espérance de vie est brève. Pourtant, Marguerite est persuadée qu’elle peut aider Marie. Plus encore, elle est convaincue que Marie est la chance de sa vie, la chance de donner sens à sa vie. Face au refus de la mère supérieure, elle ne décourage pas, fait preuve d’une opiniâtreté si tenace qu’elle finit pas avoir gain de cause.
Les premiers mois sont terribles. Marie ne se laisse pas laver, peigner, habiller. Elle a de nombreuses crises de terreur. Il faut la maîtriser dans d’épuisants corps à corps, puis la caresser jusqu’à ce qu’elle se calme. Ses progrès sont minimes. Et puis, peu à peu, elle se laisse apprivoiser. Marguerite nourrit à son égard une haute ambition : lui apprendre un langage. Pendant des semaines, la jeune religieuse tente de lui inculquer un signe tactile pour signifier (plus exactement « signer ») le mot couteau. Et puis un jour, Marie se débloque, comprend cette notion inconnue pour elle de langage. Et Marguerite met la barre plus haut, il faudra apprendre la grammaire, l’orthographe, l’usage d’un langage des signes visuels à destination des autres.
Il y a chez Marguerite / Isabelle Carré, quelque chose de Thérèse Martin (« Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus ») : une volonté de fer, la morsure du doute, la contemplation des petites choses dans la routine quotidienne et dans la nature. Et aussi, le mal qui progresse, la respiration douloureuse et, au bout du chemin la mort prématurée, dont il faudra bien s’accommoder… Marie, elle aussi, devra accepter la séparation définitive d’avec Marie, si douloureuse soit-elle. La dernière scène du film, où on la voit sur la tombe de sa bienfaitrice lui parler, au-delà de la mort, en langage des signes, est sublime.
Les religieuses montrées par Jean-Pierre Améris sont celles d’aujourd’hui, et non les Filles de la Sagesse d’il y a un siècle, engoncées dans leurs collerettes et leur vouvoiement. Il y a des anachronismes touchants, comme le verre Duralex présentée par Marie à Marguerite agonisante. « J’ai écarté toute tentation de reconstitution historique. Ce qui m’intéresse dans les films situés dans le passé, c’est leur résonnance au présent », dit le metteur en scène.
« Marie Heurtin » est un film bouleversant qui nous montre comment on peut appréhender le monde et les humains et les palpant et en les humant. Les personnages ont un rapport physique les uns avec les autres. Et c’est de cette corporalité que nait la spiritualité.