Le ciné-club « la petite séance », créé et animé par des étudiantes bordelaises, a programmé récemment à l’auditorium de la médiathèque de Pessac un film égyptien de Yousry Nasballah : « les femmes du Caire » (2009).
Le titre arabe du film est « raconte, Shéhérazade ». Comme les « mille et une nuits », le film se compose de récits enchâssés dans un récit-cadre. Celui-ci met en scène Helba (Mona Zaki), une présentatrice de talk-shows à succès sur une chaîne de télévision privée. Jeune, jolie, toujours tirée à quatre épingles, Helba est mariée à Hakim (Hassan el Raddad), journaliste qui a de bonnes chances de devenir le rédacteur en chef de son journal.
La nomination du rédacteur en chef devrait se décider dans les prochaines semaines. Hakim demande à Helba de faire provisoirement profil bas et d’abandonner les sujets politiques dans lesquels elle s’est faite une réputation d’empêcheuse de tourner et de corrompre en rond. Elle accepte de quitter le terrain politique et se met à la recherche de sujets de société.
Helba réalise trois interviews en direct avec des femmes qui racontent l’enfer qu’est leur vie. L’une d’entre elles a refusé le mariage à un homme qui lui proposait comme avenir conjugal de renoncer à toute forme d’autonomie. Une autre raconte qu’elle et ses deux sœurs, célibataires, héritières d’une petite quincaillerie de quartier, avaient décidé que l’une d’elles se marierait à leur employé pour assurer leur protection ; mais celui-ci les avait trahies, et l’aînée l’avait assassiné. Enfin, une femme chirurgien dentiste explique qu’elle a été arnaquée par l’un de ses clients qui lui avait proposé le mariage, dans le seul but de l’escroquer.
Helba est bouleversée par ces témoignages. L’émission rencontre un grand succès populaire, mais dérange la Présidence, où règne Moubarak : n’est-elle pas en train de donner une image exécrable des hommes égyptiens. ? Pour atteindre Helba, on sanctionne Hakim. Celui-ci ne sera pas nommé rédacteur en chef. Fou de rage, il agresse sa femme. Celle-ci tient son quatrième reportage, dont elle sera elle-même l’intervieweuse et l’interviewée.
Le scénario, écrit par un auteur de théâtre populaire, Waheed Hamed, est bien construit. Helba étouffe dans son milieu et dans son couple. Les interviews avec des femmes maltraitées lui ouvrent, l’une après l’autre, des portes vers sa propre liberté. D’une scène à l’autre, l’intensité dramatique s’accroît. La sphère privée est imbibée de politique.
Le film est aussi une réussite esthétique. On retiendra l’omniprésence de la couleur rouge, celle du plateau de télévision, le rouge à lèvre d’Helba, son propre sang lorsqu’elle est tabassée par son mari.
Il manque à mon avis une figure masculine positive, comme celle de l’inspecteur de police dans « les femmes du bus 678 », autre film égyptien. Les hommes sont présentés sans exception comme des brutes ou des manipulateurs, enfermés dans leurs préjugés à l’égard des femmes. Ce parti pris nuit à la crédibilité du propos. Une sociologue d’origine jordanienne, invitée au débat qui suivit la projection, souligna que le mouvement féministe égyptien a toujours insisté sur le fait que l’oppression touche les hommes comme les femmes, et que la libération de la femme passe aussi par celle de l’homme.