« Transhumances » a rendu compte il y a un an du tome 1 de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse. Le tome 2 (Fayard, 2008) couvre une partie de la période d’exil, entre 1851 et 1864.
A la fin du tome 1, nous avions laissé Victor Hugo s’enfuyant en train de la France vers la Belgique déguisé en ouvrier. Il s’était opposé au coup de force de Louis Napoléon Bonaparte. D’innombrables républicains avaient été tués ou envoyés au bagne. A Bruxelles, il retrouve la communauté des proscrits, mais ce premier lieu d’exil n’est pas sûr. Il s’installe à Jersey de 1852 à 1855 puis dans l’île plus accueillante de Guernesey. En 1860, il refuse l’amnistie des proscrits.
Dans l’intervalle, sa production intellectuelle est incroyablement dense, de Napoléon Le Petit à William Shakespeare en passant par les Contemplations, la Légende des Siècles, les Misérables et un grand nombre d’articles, de manifestes (en particulier contre la peine de mort), de discours. Sa correspondance est considérable.
En exil, Victor Hugo reconstitue sa cellule familiale : sa femme Adèle ; son fils Charles, passionné par des innovations telles que le spiritisme et la photographie, aspirant écrivain au maigre talent ; son autre fils François Victor, qui mène à bien une monumentale traduction de Shakespeare ; sa fille Adèle, solitaire, renfermée, musicienne, psychologiquement déséquilibrée ; Auguste Vacquerie, le beau-frère de la fille disparue, Léopoldine ; et, dans le même pâté de maisons, la maîtresse, Juliette Drouet, celle qui avait sauvé sa vie dans les heures dramatiques de décembre 1851. Autour de la famille, partageant l’exil, à Bruxelles ou à Paris, des camarades, des amis ou des éditeurs. Tous sont puissamment attirés par le magnétisme du maître de maison ; tous, sauf Juliette, ont besoin d’air et aspirent à s’éloigner, de son bon gré ou malgré lui.
Il déploie une énergie phénoménale, que ce soit dans la rédaction de ses poèmes et de son roman, dans la relecture des épreuves, dans la négociation de ses contrats d’édition, dans l’action militante, dans la peinture, dans ses voyages au Benelux et en Rhénanie, dans la décoration pièce par pièce d’Hauteville House, la maison qu’il a achetée à Guernesey, comme dans la séduction des jeunes domestiques de la famille.
A Jersey, la famille Hugo pratique assidument les tables tournantes : des esprits s’invitent parmi eux et font connaître leurs pensées en frappant. Peu à peu, Victor Hugo crée sa propre philosophie et sa propre religion, fondées sur l’idée que les objets, les plantes, les animaux et les humains sont habités d’un esprit immortel. Certains esprits ont un degré de conscience plus élevé et dialoguent entre eux au-delà des siècles : Victor Hugo se sait l’égal d’Eschyle, Isaïe, Dante, Michel-Ange et naturellement Shakespeare, ce qui ne manque pas de provoquer la raillerie de ses ennemis.
« Il faut détruire toutes les religions afin de reconstruire Dieu. J’entends : le reconstruire dans l’homme. Dieu, c’est la vérité, c’es la justice, c’est la bonté. C’est le droit et c’est l’amour ; c’est pour lui que je souffre, c’est pour lui que vous luttez » (lettre à Auguste Nefftzer). « J’ai la foi que c’est dans l’infini qu’est le grand rendez-vous. Je vous y retrouverai sublimes et vous m’y reverrez meilleur (…) La vie n’est qu’une occasion de rencontre ; c’est après la vie qu’est la jonction » (Préface de mes œuvres et post-scriptum de ma vie).
Le livre de Jean-Marc Hovasse est une œuvre scientifique : plus de 350 pages de notes critiques sur les presque 1400 pages du livre. Pourtant, il se lit comme un roman. Le lecteur devra patienter pour le tome 3, annoncé pour le bicentenaire de Waterloo en 2015 !
Couverture de la biographie de Victor Hugo par Jean-Marc Hovasse.