« Eau argentée, Syrie autoportrait », film d’Ossama Mohammed et de Wiam Simav Bedirkan (2014), offre au spectateur une émotion rare.
L’émotion est d’abord douleur, nausée, indignation provoquées par les violences inouïes infligées par le régime de Bachar El Assad à sa population. Le film est construit à partir de deux sources. Réfugié en France depuis 2011, Ossama Mohammed a recueilli sur Youtube des quantités de vidéos prises la plupart avec des smartphones au cœur des manifestations de masse, sous le feu de la violente répression et jusque dans des salles de torture. Recluse dans Homs assiégée, Wiam Simav Bedirxan (Simav est un prénom kurde signifiant « eau argentée ») a filmé pendant des mois la ville martyre : les immeubles éventrés, les victimes des snipers, les chats estropiés mendiant de la nourriture.
La jeune cinéaste avait pris contact avec son aîné pour lui demander des conseils. Chaque jour, elle téléchargeait ses images à son intention. Leur œuvre commune est un cri d’horreur devant la barbarie. Un jeune manifestant conduit au poste et dénudé est contraint à coup de bottes d’embrasser un poster de « son dieu, Bachar ». Pour éviter les snipers, on tire les cadavres par des cordes nouées à leurs membres jusqu’à pouvoir les récupérer dans le porche d’un immeuble. Un petit garçon porte des coquelicots sur la tombe de son papa et nous sert de guide pour une visite de son quartier : attention, ici il y a des snipers…
« Eau argentée » documente le mal absolu, l’inhumanité en action. Le plus étonnant est qu’il y a dans cette dénonciation, à partir de matériaux de bric et de broc, un véritable souffle épique, et parfois même de la poésie. La musique composée et interprétée par Noma Omran est poignante. Elle met le spectateur à distance du sang, des larmes et des hurlements ; mais elle donne aussi à ce spectacle insoutenable une profondeur mystique.
Le film était présenté au cinéma Jean Eustache de Pessac dans le cadre des conférences de l’Unipop, l’Université Populaire d’Histoire, en présence de plusieurs centaines de spectateurs. Le principe de l’Unipop est de faire précéder la projection d’un film (à 20h30) par une conférence sur un thème touchant à la thématique du film. Ce jour-là, Matthieu Rey, professeur au Collège de France, vint expliquer la nature du système de terreur et de prédation mis en place en 1970 par Hafez el Assad et poursuivie par son fils Bachar. Et Mustapha Khalifa, prisonnier politique pendant treize ans sous Hafez et Bachar vint témoigner de son expérience de l’enfer carcéral syrien.