Ne parlons pas d’islam « modéré » mais d’islam moderne

Les journaux parlent fréquemment d’islam « modéré » pour l’opposer à l’islam « radical » ou « fondamentaliste ». Mais ce vocabulaire est piégé.

 Parlerait-on de « christianisme modéré » ou de « judaïsme modéré » ? Chacune de ces grandes religions monothéistes compte pourtant en son sein des extrémistes, des fondamentalistes et des fanatiques.

 

Tarek Oubrou, imam de Bordeaux, militant d'un islam moderne
Tarek Oubrou, imam de Bordeaux, militant d’un islam moderne

L’idée sous-jacente au mot « modéré », c’est que l’islam serait fondamentalement violent, intolérant, obtus, sexiste. Il y aurait parmi les musulmans une minorité qui irait au bout de la logique inhérente à sa religion, supposée être la haine de l’autre et le terrorisme. Et puis une grande masse de pratiquants plus ou moins tièdes qui, faute de conviction personnelle ou sous la pression de l’environnement, s’arrêteraient en chemin ne seraient que « modérément » violents, intolérants, obtus et sexistes.

 Ce n’est évidemment pas ainsi que les musulmans vivent leur foi. Ils ont le sentiment d’appartenir à une communauté de croyants. Ils sont égaux dans les rites par lesquels ils se mettent en présence de leur Dieu, et jusque dans celui des funérailles. Ils sont particulièrement heureux pendant le ramadan, ce mois très spécial où l’on jeûne et où l’on fait la fête. Ils ne prépareront jamais un repas festif sans en réserver une partie pour des pauvres.

 Il faut bannir le mot de « modéré » pour qualifier les musulmans tolérants, ouverts, bien dans leur existence de croyants même là où leur religion est minoritaire. Dans une interview au Monde (26 février 2015), le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve parle d’un islam « fidèle aux valeurs de la République ». Mais cette expression définit l’Islam par rapport à un système culturel exogène, celui de la laïcité.

 Le mot le plus juste serait un « islam historico-critique », c’est-à-dire une religion qui réinterprète en permanence son histoire, des origines jusqu’à maintenant ; un Islam capable de reformuler avec les mots d’aujourd’hui ce qui constitue son patrimoine spirituel propre. Mais le terme « historico-critique » appartient au lexique universitaire, alors que l’islam, comme toute religion, est populaire.

 Le mot qui se substituerait le mieux à « islam modéré » est celui de « islam moderne ». Certes, les fondamentalistes musulmans font un usage extensif d’outils de communication modernes, tels que les réseaux sociaux, mais leurs regards sont tournés vers un passé médiéval idéalisé. L’islam moderne est celui qui reconnait la légitimité d’autres religions comme de l’athéisme ; qui vit sa propre religion avec bonheur et souhaite partager ce bonheur avec d’autres secteurs de la société ; qui contribue à l’édification d’une société « douce, intégrante, œcuménique et stimulante » comme l’a dit joliment une danoise au lendemain des attentats de Copenhague (Le Monde du 18 février).

 Un autre avantage du mot « moderne », c’est qu’il rendra plus facile aux médias la substitution du mot « modéré » : les trois premières lettres sont identiques !

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