L’émergence des réseaux sociaux est sans doute l’un des phénomènes de société les plus marquants des dernières années. Le réalisateur David Fincher et le scénariste Aaron Sorkin écrivent l’histoire de Facebook, une histoire toute récente : 2003.
Etudiant en informatique brillantissime, Mark Zuckerberg se fait larguer par sa petite amie, Erica, qui ne supporte pas son arrogance et sa volonté d’entrer à tout prix dans un club élitiste dont il est exclu par son origine modeste. On la comprend. Mark (joué avec une grande finesse par Jesse Eisenberg) est un garçon d’une intelligence supérieure, convaincu de cette supériorité et prêt à tout pour arriver ; il n’a pas de vrais amis, on ne le voit jamais rire ni pleurer, il n’admet jamais ses torts. En bref, c’est un individu exceptionnel, à la limite de la normalité psychologique.
Par vengeance, il invente un site où les étudiants notent l’attractivité de leurs condisciples féminines. Deux jumeaux de bonne famille le mettent sur la piste de créer un club virtuel pour les étudiants de Harvard. Il les dépossède de leur idée en l’élargissant à une communauté potentiellement sans autre limite que l’humanité, dans laquelle les participants se rencontrent sur leurs pôles d’intérêt, à partir de la question « qu’avez-vous à l’esprit aujourd’hui ? » Il lance Facebook avec un étudiant qui est prêt à mettre dans l’affaire quelques milliers de dollars et travaille à rentabiliser le site par la publicité.
Mais Mark a une vision plus large. Il part en Californie pour travailler avec Sean Parker, le fondateur et patron du site de téléchargement de musique Napster et qui se fait fort de mobiliser des millions de dollars de capital. Son approche est caractéristique de la « génération Web 2.0 » : il n’y a pas de propriété intellectuelle, il n’y a rien à pirater ; c’est de ce que les participants apportent que le réseau tire sa valeur ; Facebook est un projet ouvert, en mouvement permanent, qui puise son énergie là où ça bouge.
Mark Zuckerberg se débarrasse un par un de ses associés par des procédés en dessous de la ceinture, accusant l’un de cruauté envers les animaux, faisant intervenir la police dans une soirée cocaïne organisée par un autre. Le film est construit autour de l’instruction de la procédure judiciaire qu’ont ouverte les associés spoliés.
Dans la grande tradition hollywoodienne, il y a dans le film des personnages taillés à la serpe : les frères Winklevoss, snobinards de bonne famille, rameurs aux régates de Henley, apparaissent ridicules ; Edoardo Saverin se présente, malgré la trahison de son ami, comme un homme sincère et droit. Seul Mark Zuckerberg est ambigu, avec son visage d’ange, sa passion quasi sexuelle pour son projet et son absence totale d’éthique.
Photo du film « The Social Network ».
Tu ne te fais guère d’illusion sur le monde du business, apparemment. Car, alors que le film laisse la réponse dans l’incertitude, tu affirmes que Mark Zuckerberg est l’instigateur de l’affaire du poulet et de la descente de police lors de la soirée du millionnième « facebooker ». Tu as sans doute raison, mais je préférais voir dans ce garçon une sorte d’autiste plutôt qu’un jeune satan. En tous cas, c’est moins le phénomène « facebook » qui m’a intéressée que la genèse d’une immense fortune. Et franchement, cela ne donne pas envie d’appartenir à ce monde des pionniers en matière d’informatique, si du moins le scénario est vrai, ce qui est probable, même si la mise en scène suppose toujours de forcer le trait.