Dans « derrière la seizième porte, une classe pour s’évader dans la prison » (Rue des Écoles / Récits, l’Harmattan, mars 2015), Françoise Leclerc du Sablon raconte son expérience d’enseignante en prison pendant une douzaine d’années.
L’auteure est aujourd’hui visiteuse de prison dans l’Yonne et membre de l’ANVP. Elle connait bien la prison pour avoir enseigné dans une maison d’arrêt du nord de la France pendant ses dernières années d’activité professionnelle au sein de l’Éducation Nationale. La seizième porte, c’est celle qui ouvrait sur sa salle de classe après un parcours d’obstacles fait de portails, de gâches électriques, de sas et de grilles.
Son livre se présente comme une série de « petites histoires », qu’on qualifierait presque d’anecdotes s’il ne s’agissait d’histoires personnelles d’hommes et de femmes jetés dans l’univers carcéral. Une bulle de liberté s’offre à eux : l’école. « Je voulais tellement dire les étincelles, les découvertes d’humanité que j’ai pu vivre quand j’ai regardé chacun, quand j’ai pu écouter pour de vrai. »
Françoise Leclerc du Sablon ne retire rien à la dureté du carcan pénitentiaire. Elle se garde de l’angélisme qui convertit délinquants ou criminels en victimes de la société. Mais les fragments de vie qu’elle rapporte incitent à l’optimisme.
Elle évoque à plusieurs reprises Claudine, dont le profil est familier aux visiteurs de prison. « La vie semble lui avoir volé ses dents, mais lui a laissé son visage flétri et les rides sur sa peau blanche, Claudine a entre trente et quarante ans, apparemment plus de quarante, elle a des cheveux raides, mi-longs sans vraiment de couleur, plutôt brune, et le teint tout à la fois pâle et rougi par le froid ou je ne sais quoi. » Claudine ne sait ni lire ni écrire.
Un long et patient travail d’apprentissage de la lecture et de l’écriture commence. Un jour, Claudine emprunte un livre de photos intitulé « album de familles ». Ça, dit-elle, je peux le lire, car c’est ma vie. Une autre fois, elle écrit avec Françoise un « curriculum », où elle raconte sa vie au juge.
Au procès, son avocat évoque le travail de Claudine en classe, sa ténacité, le fait qu’elle a préparé et fait visiter une exposition. « Je ne peux pas dire dans quelle mesure cela a influencé qui que ce soit. En tout cas je sais par elle-même que cela a donné à Claudine assez de fierté pour oser parler et s’expliquer clairement, pour se tenir droite. » Quelques années après sa libération, Françoise rencontre Claudine en ville. « Retrouvailles ? Je ne sais pas. Mais vraie joie ou bonheur de recroiser Claudine dans une autre vie, et d’avoir l’occasion de la remercier, lui dire comment elle, Claudine, m’a appris à être cette enseignante que j’ai aimé être dans un milieu si particulier. »
L’humour n’est pas absent derrière la seizième porte. L’enseignante essaie de faire comprendre à Madeleine ce que signifie une ligne horizontale. « Tu as déjà vu l’horizon ? » lui demande-t-elle. « Non ; ça fait dix ans que je suis en prison, et avec les barreaux (geste de balayage vertical), on ne voit pas ». Réaction de l’enseignante : « !!!!! (L’horizon vertical se dessine sous mes yeux avec une réalité terrible !) »
La lecture des 137 pages de « derrière la seizième porte » est vivifiante. Elle est recommandable à ceux qui sont confrontés à la réalité carcérale comme à ceux qui, en étant éloignés, pressentent qu’il y a derrière les barreaux des personnes à la recherche de regards d’amour.