Dans « Éloge du blasphème » (Grasset, 2015), la journaliste Caroline Fourest revient sur la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015, et sur les réactions qu’elle a suscitées.
Caroline Fourest est une ancienne de Charlie Hebdo. À ce titre, le massacre de ses camarades par les frères Kouachi la touche personnellement ; à ce titre aussi, elle a été fréquemment invitée sur les plateaux de télévision.
C’est une combattante. Dans son livre, elle explique ses convictions avec passion et attaque vigoureusement ceux qui n’étaient pas Charlie (mais Charly Martel, par exemple) ou bien étaient « Charlie mais… » (mais ils sont allés trop loin dans la provocation…).
Elle se revendique de la gauche universaliste et laïque qui vise l’égalité de tous quels que soient leur origine, leur religion, leur genre et leur orientation sexuelle. Elle oppose cette gauche issue des Lumières à une gauche communautariste, dont la clé de lecture sont les « catégories d’origine : descendants de colons contre descendants de colonisés ».
Les «universalistes » ont pour obsession et pour projet l’émancipation de tous. Or, la religion et le sacré sont massivement utilisés par les pouvoirs pour assujettir les citoyens. Le rire et la dérision sont des outils de libération. Lorsqu’ils s’appliquent à des sujets religieux ou sacrés, ils ont pour nom « blasphème ». Pour un libre-penseur, souligne Caroline Fourest, le mot « blasphème » est noble, alors qu’il est péjoratif dans la bouche d’un croyant offensé.
Un « communautariste » en revanche se méfie des Lumières. En leur nom, des soldats, des administrateurs et des instituteurs ont exercé une « mission civilisatrice » auprès de populations opprimées. Lutter aujourd’hui contre l’obscurantisme et le fanatisme, lorsqu’ils sont le fait d’anciens colonisés, ce serait leur imposer un mode de pensée occidental. Certes, les actes des terroristes sont effroyables. Mais ne faut-ils pas chercher à comprendre ce qui a conduit ces « enfants perdus » à commettre ces actes désespérés ? Et si les anciens colonisés considèrent les caricatures de Mahomet comme insultantes, ne faut-il pas s’en abstenir et respecter une « trêve du blasphème » ?
Ses ennemis qualifient souvent Caroline Fourest d’islamophobe parce qu’elle s’en prend aux islamistes (et aussi, selon moi, parce qu’elle peine à reconnaître des valeurs positives intrinsèques à la religion musulmane, telles que la fraternité et l’hospitalité). Ils assimilent, par manque de rigueur ou de manière malveillante, l’islamo-phobie à la musulmano-phobie, l’hostilité à l’égard de la religion musulmane et à l’égard de ceux qui la pratiquent. C’est par ce glissement sémantique qu’on en vient à la suspecter de racisme. Or, remarque l’auteure, le racisme désigne cette façon de transformer de simples différences, d’origine, de goût ou d’apparence en caractéristiques fondamentales, en généralités, enfermant un groupe dans une « essence » à part. Elle retourne à ses détracteurs l’accusation de racisme : ne sont-ils pas racistes, ceux qui essentialisent les musulmans comme incapables de raison et d’humour ?
Pour Caroline Fourest, il faut mener résolument le combat contre l’obscurantisme et le fanatisme. « Ce sera le courage ou la lâcheté. Ceux qui pensent que la lâcheté permet d’éviter la guerre se trompent. La guerre a déjà commencé. Seul le courage peut ramener la paix. » Dans sa logique, renoncer au rire et à la dérision, s’abstenir de se moquer du sacré, ne désarmerait nullement les terroristes. Ce serait au contraire interprété par les ennemis de la liberté comme un aveu de faiblesse.
La ligne rouge à ne pas franchir est la haine. S’en prendre à une religion, même avec férocité, vise à l’émancipation ; rire d’Arabes ou de Juifs parce qu’ils sont arabes ou juifs, les discrimine. « Charlie rit des terroristes, Dieudonné rit avec les terroristes », dit l’auteure. Son livre est résolument polémique, mais a le mérite d’obliger le lecteur à faire, pour soi-même, le tri entre des opinions qui, dans l’émotion des attentats, se sont affrontées dans la confusion.